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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 7:22
Les sentiers de la rédemption
La statue de la liberté qui accueille un bateau parmi tant d’autre tourne le dos au spectateur dans le premier plan, laissant deviner la silhouette d’un homme attendant le débarquement des immigrants ; bienvenue en Amérique, où l’on vous piège dès l’entrée sur le territoire. De la liberté, il ne sera presque jamais question. La vie est un show mensonger, où un illusionniste s’enfermant dans une camisole fera oublier un soir durant les conditions de détention à Ellis Island. Un théâtre au rabais, un défilé de putes dans un tunnel de Central Park. L’Amérique est un mythe, au sein duquel on cherche un nouvel eden, ici en l’occurrence la Californie : le rêve n’aura jamais de point d’arrivée. Dans ce panier de crabes, l’arrivée d’Ewa met en place une initiation sur le mode de la violence feutrée. Le parti pris de Gray est ici clairement assumé : nous proposer une tragédie et le tableau d’une société violente et liberticide, mais avec les couleurs d’un Delatour. Les lumières mordorées, les visages splendidement éclairés laissent sourdre dans cette obscurité généralisée des saillies d’espoir et une attention de plus en plus accrue aux sentiments. Cotillard, aux antipodes d’un rôle comme celui de De rouille et d’os, est, reconnaissons-le pour une fois, assez impressionnante de pudeur et de retrait. Son visage à la fois humble et durci par les épreuves fascine autant qu’il touche, d’autant qu’il porte à lui seul les marques d’une violence la plupart du temps hors-champ : le viol, la prostitution, le meurtre, même, sont toujours désactivés au profit de la lecture corporelle et émotionnelle des personnages. Tant qu’il n’insiste pas sur l’écriture tragique, Gray peut compter sur la finesse de sa mise en scène pour donner de l’intérêt à son récit. Hélas, les développements de son intrigue ont tôt fait d’émousser cette délicatesse. L’inversion du pouvoir, le revirement des situations se font au mépris de la cohérence pourtant solide des débuts ; la précipitation des péripéties n’est pas particulièrement habile, et, surtout, l’évolution du personnage de Phoenix suit la gradation d’un comédien toujours avide d’en faire le plus possible. Sa tirade finale, déclamée avec une mâchoire déboitée, sent vraiment la contrainte de l’acteur avide de défis stérile, et se révèle franchement poussive. Le talent de Gray, tant dans la mise en scène que la délicatesse de l’écriture, n’est plus à prouver. Force est de constater, avec regrets, qu’il se fourvoie un peu sur cette tentative, pris au piège de la surenchère de ses propres procédés.
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 12:09
Azbinebrozer a écrit:
J'ai quand même trouvé le film bon, sur une durée courte. Dans quel film de Polanski (ou d'autres cinéastes) un milieu aussi sobre, wasp, sur cette crête entre "négociation morale" et négociation juridique ?... On est toujours dans un contexte assez exotique, ou fantastique dans ses autres films nan ?...
Bien sûr il n'aurait pas fait ce film s'il en avait déjà sorti un exactement sur le même sujet mais dès Le couteau dans l'eau tout est là, sans exotisme ni fantastique, on pense que ça va virer au thriller et finalement même pas. Je pense pas que le contexte juridique soit si important dans Carnage, c'est surtout un prétexte à ces rapports de force à la limite de la perversion et à ce craquellement du masque de la civilisation et de la morale, qui n'est finalement importante pour personne dans l'histoire (La jeune fille et la mort n'est pas loin non plus du coup, en beaucoup plus sobre et intense et sans avoir recours à cette hystérie fatigante).
Azbinebrozer personne âgée
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 15:32
RabbitIYH a écrit:
Azbinebrozer a écrit:
J'ai quand même trouvé le film bon, sur une durée courte. Dans quel film de Polanski (ou d'autres cinéastes) un milieu aussi sobre, wasp, sur cette crête entre "négociation morale" et négociation juridique ?... On est toujours dans un contexte assez exotique, ou fantastique dans ses autres films nan ?...
Bien sûr il n'aurait pas fait ce film s'il en avait déjà sorti un exactement sur le même sujet mais dès Le couteau dans l'eau tout est là, sans exotisme ni fantastique, on pense que ça va virer au thriller et finalement même pas. Je pense pas que le contexte juridique soit si important dans Carnage, c'est surtout un prétexte à ces rapports de force à la limite de la perversion et à ce craquellement du masque de la civilisation et de la morale, qui n'est finalement importante pour personne dans l'histoire (La jeune fille et la mort n'est pas loin non plus du coup, en beaucoup plus sobre et intense et sans avoir recours à cette hystérie fatigante).
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"La jeune fille et la mort" j'ai adoré aussi ! Mais c'est un huit-clos juridico-politique autour de multiples "crimes" commis par un bourreau. On n'est pas dans le quotidien. Je n'ai pas vu "Le couteau dans l'eau" mais c'est dans un contexte de vacances et de sortie en mer. La nuance de "Carnage" c'est que ça se passe au domicile de wasp, au cœur même de leur quotidien, le plus clean et creux. Démasqués à domicile !
Sur le juridique Le motif est-il juridique ? Il me semble que dès avant son entrée dans l'appartement, le couple n'est pas dans une posture morale de repentir (vu la broutille commise par le fiston on le comprend aisément...) mais dans une stratégie juridique ( il y a quand même un risque juridique) qu'ils évoquent entre eux, il me semble, à chaque sortie sur le pallier !... Chacun joue un jeu souvent (pas toujours c'est vrai il y a des fêlures qui sortent) qui suppose un double fond.
Sur l'hystérie. S'il avaient été sincères même après quelques bons coups de bourre-pif éventuels, et bien compréhensibles en vraie bonne société , ils auraient pu tomber dans les bras les uns des autres. Mais l'Amérique de John Ford est loin... L'hystérie ne vient seulement pas de failles que les personnages portent en eux et qui sortiraient subitement (par exemple suis-je vraiment altruiste pour le couple qui a "ses œuvres"). Cette hystérie vient aussi de la position fragile de faux semblants qu'ils jouent au moment même où ils échangent. Le masque qui peut tomber est double, la chute du masque du jeu sur le conflit entre leurs ados entraine la chute du masque des jeux de toute une vie. Quand l'esprit n'a plus de réponse, il le dit au corps qui crie !
On pourrait essayer de comparer ce film à Une séparation ?... Dans Carnage, film sur l'Amérique, le conflit moral (respect de la personne) masque un conflit possible juridique qui reste bien seulement ici virtuel, en toile de fond. Ce conflit tourne à une escalade qui en reste à une échelle entre individus. Mais le caractère minime de cette violence individuelle tourne à une violence morale individuelle bien plus grave qu'initialement. Portrait d'Amériques. Le souci juridique tue la moralité et la violence n'a plus de limite. Dans Une séparation, film sur l'Iran, le conflit individuel tourne à une escalade à une échelle juridico-politique qui dresse le portrait d'un pays. Un pays où il n'y a pas de frontières bien étanches entre le moral, le juridique et le politico-religieux... Et la violence trouve une limite dans le regard de tous sur tous. Certes l'incident de départ (bousculade et perte d'enfant possible) est aussi plus grave que dans Carnage...
(Choc des civilisations : société moralo-juridico-politico-religieuse pour les Etats musulmans intégristes totalitaires. Ou société moralo-juridique de façade où on est livré entre individus à la montée de la violence, aux États-Unis. Bientôt chez vous, déjà même !... Faites votre choix ?... )
A creuser... Ok... j'improvise...
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 16:11
Azbinebrozer a écrit:
Sur le juridique Le motif est-il juridique ? Il me semble que dès avant son entrée dans l'appartement, le couple n'est pas dans une posture morale de repentir (vu la broutille commise par le fiston on le comprend aisément...) mais dans une stratégie juridique ( il y a quand même un risque juridique) qu'ils évoquent entre eux, il me semble, à chaque sortie sur le pallier !... Chacun joue un jeu souvent (pas toujours c'est vrai il y a des fêlures qui sortent) qui suppose un double fond.
Il me semble que la stratégie juridique passe assez vite au second plan quand même, confrontés à l'image que leur renvoie l'autre chacun des couples puis chacun des personnages en vient à devoir défendre son identité et sa façade morale, question d'ego, d'honneur ou simplement dans une sorte de réflexe de survie beaucoup plus primitif que ça.
Azbinebrozer a écrit:
Sur l'hystérie. S'il avaient été sincères même après quelques bons coups de bourre-pif éventuels, et bien compréhensibles en vraie bonne société , ils auraient pu tomber dans les bras les uns des autres. Mais l'Amérique de John Ford est loin... L'hystérie ne vient seulement pas de failles que les personnages portent en eux et qui sortiraient subitement (par exemple suis-je vraiment altruiste pour le couple qui a "ses œuvres"). Cette hystérie vient aussi de la position fragile de faux semblants qu'ils jouent au moment même où ils échangent. Le masque qui peut tomber est double, la chute du masque du jeu sur le conflit entre leurs ados entraine la chute du masque des jeux de toute une vie. Quand l'esprit n'a plus de réponse, il le dit au corps qui crie !
Je suis bien d'accord mais c'est le genre de situation qui n'arrive pas dans la vraie vie, à moins d'avoir quatre personnages sado-maso réunis dans la même pièce ! Les limites de la théâtralité dans le cas de ce film c'est que tu ne comprends pas pourquoi le couple ne s'en va pas, ou pourquoi l'autre ne le fout pas à la porte avant d'en arriver à devoir craquer et s'épancher publiquement sans la moindre pudeur devant des inconnus. Certes il y a cette volonté d'éviter le conflit juridique, mais visiblement tout le monde veut plus ou moins régler ça à l'amiable, il y aurait donc mille excuses possibles de part et d'autre pour remettre cette confrontation à plus tard.
Azbinebrozer personne âgée
Nombre de messages : 2751 Date d'inscription : 12/03/2013 Age : 63 Localisation : Teuteuil Humeur : mondaine
Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 16:50
RabbitIYH a écrit:
Azbinebrozer a écrit:
Sur le juridique Le motif est-il juridique ? Il me semble que dès avant son entrée dans l'appartement, le couple n'est pas dans une posture morale de repentir (vu la broutille commise par le fiston on le comprend aisément...) mais dans une stratégie juridique ( il y a quand même un risque juridique) qu'ils évoquent entre eux, il me semble, à chaque sortie sur le pallier !... Chacun joue un jeu souvent (pas toujours c'est vrai il y a des fêlures qui sortent) qui suppose un double fond.
Il me semble que la stratégie juridique passe assez vite au second plan quand même, confrontés à l'image que leur renvoie l'autre chacun des couples puis chacun des personnages en vient à devoir défendre son identité et sa façade morale, question d'ego, d'honneur ou simplement dans une sorte de réflexe de survie beaucoup plus primitif que ça.
Tout à fait d'accord pour constater une bascule vers l'enjeu d'égo que tu décris. Mais en partie,il y a à mon avis, des allers-retours des personnages entre la posture de calcul juridique et la posture de sincérité morale. Notamment à chaque retour sur le pallier. En outre, ce n'est pas unifié et synchrone au sein du couple. C'est fluctuant selon les personnages au sein du couple et selon les moments. Globalement les femmes incarnent plus une posture morale. Le mari tente la sortie quand la femme cherche à tuer moralement le couple hôte. Mais le jeu tourne à la guerre de 2 contre 2, mais aussi à de soi contre son conjoint... A certain moment il faut aussi reconquérir son ego moral face à son conjoint. Et reprendre la négociation morale avec l'autre couple fait partie de sa propre reconquête morale !...
Il me semble que tu ouvres ici avec l'idée de posture de défense de son ego, une partie de la réponse à ce que tu cherches dans ta 2ème partie...
Azbinebrozer a écrit:
Sur l'hystérie. S'il avaient été sincères même après quelques bons coups de bourre-pif éventuels, et bien compréhensibles en vraie bonne société , ils auraient pu tomber dans les bras les uns des autres. Mais l'Amérique de John Ford est loin... L'hystérie ne vient seulement pas de failles que les personnages portent en eux et qui sortiraient subitement (par exemple suis-je vraiment altruiste pour le couple qui a "ses œuvres"). Cette hystérie vient aussi de la position fragile de faux semblants qu'ils jouent au moment même où ils échangent. Le masque qui peut tomber est double, la chute du masque du jeu sur le conflit entre leurs ados entraine la chute du masque des jeux de toute une vie. Quand l'esprit n'a plus de réponse, il le dit au corps qui crie !
Je suis bien d'accord mais c'est le genre de situation qui n'arrive pas dans la vraie vie, à moins d'avoir quatre personnages sado-maso réunis dans la même pièce ! Les limites de la théâtralité dans le cas de ce film c'est que tu ne comprends pas pourquoi le couple ne s'en va pas, ou pourquoi l'autre ne le fout pas à la porte avant d'en arriver à devoir craquer et s'épancher publiquement sans la moindre pudeur devant des inconnus. Certes il y a cette volonté d'éviter le conflit juridique, mais visiblement tout le monde veut plus ou moins régler ça à l'amiable, il y aurait donc mille excuses possibles de part et d'autre pour remettre cette confrontation à plus tard.[/quote]
Je suis d'accord que le film fait un peu artificiel. Je ne trouve pas l'enchainement des situations aussi brillant que "La séparation" qui est un CO intégral passant d'un conflit entre deux familles au portrait magistral d'une nation ! Mais pas tant que ça d'accord ! D'une part le point de vue juridique revient à mon sens de temps en temps. D'autre part, effectivement l'idée de posture de défense de son ego, que tu défends plus haut, me parait être l'élément qui continue d'alimenter et d’aggraver la négociation qui tourne à une guerre absolue : tuer l’âme de l'autre. Discréditer sa bienpensance, sa générosité, sa moralité...
Voilà je crois qu'on a bien bossé sur ce film. 4/5 pour moi.
Invité Invité
Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Mer 2 Avr 2014 - 18:56
Azbinebrozer a écrit:
D'autre part, effectivement l'idée de posture de défense de son ego, que tu défends plus haut, me parait être l'élément qui continue d'alimenter et d’aggraver la négociation qui tourne à une guerre absolue : tuer l’âme de l'autre. Discréditer sa bienpensance, sa générosité, sa moralité...
Oui dans le fond c'est un bon sujet ! Mais je vais rester sur mon, 1,5/5.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Jeu 3 Avr 2014 - 6:42
« You’d drink too if you were married to your mother »
Vieux, acariâtres et sans-gêne : il faut un certain temps pour s’adapter à la singulière antipathie des personnages que l’on va devoir fréquenter deux heures durant. Forcés, avec David, le fils patient, de lever les yeux sur ces reliques d’un autre temps et d’un autre monde, dans un noir et blanc à la fois légèrement prétentieux et pudique. Les pièges sont nombreux sur une trame aussi éculée : le road movie, la découverte du passé d’un père jusqu’alors mutique, la vision pseudo insolite d’une Amérique provinciale et paumée, la tendresse retrouvée… A un détail près, la musique, trop présente et typique du film indé américain, un peu irritante. Le film fonctionne sur un principe constant : la désactivation. Les composantes traditionnelles de ce type de film sont systématiquement dénuées de leur potentiel pathos, à commencer par les vertus de la communication : le silence serait souvent préférable à ce qui se dit dans les échanges familiaux. Entre l’incapacité du fils à raisonner son père, le fiel constant de la mère (notamment dans cette très drôle et acide visite au cimetière où l’éloge funèbre tourne au jeu de massacre) et les malaises phatiques des retrouvailles, rien ne fonctionne. Face à ce rempart, David, diplomate, l’effroi poli dans les yeux, qui continue d’avancer. Pudeur et silence sont les seuls armes qu’il oppose à ce déploiement d’amertume et de rancœur qui va trouver toutes les raisons de se réactiver durant les retrouvailles avec la famille laissée dans le bled des origines. Figés dans un passé qui ne passe pas, coupés du monde, ces bouseux ont au moins le mérite de nous rendre attachants ceux qu’on méprisait au départ. De temps à autre, par petites touches, affleurent à la surface des souvenirs qui composent une vie passée violemment émouvante et nous rendent subtilement attachants les vieillards qui la traine avec peine. L’autre trouvaille du récit est ce pseudo élément perturbateur généré par l’annonce publicitaire du gain d’un million de dollar que le père prend au pied de la lettre. Toute la motivation du récit est là aussi désactivée à l’avance, et met en place une petite comédie humaine pour les désespérés, où l’on s’accroche avec enthousiasme à cet Eldorado de pacotille avant de mépriser celui qui a apporté ce brasillant mensonge, honteux qu’on est de l’avoir partagé un temps avec lui. Le quiproquo, souvent drôle, est surtout assez féroce sur la vision qu’il propose de la famille et des convoitises, où la cohorte des losers se presse en compliments intéressés, sorte de Fargo sans crime où la médiocrité atteint des sommets. Le parcours de muera en tentative de réconciliation : avec un passé, avec ses rêves, avec ceux qui sont condamnés à rester les membres de notre famille. Modeste, à hauteur d’homme, celle-ci se soldera par le déchiffrement de quelques-unes des énigmes du regard livide du père traversé çà et là par de brillants soleils. S’il valait mieux se taire que parler, trouvons au moins du charme au mensonge : du million de dollar, il reste une casquette, et le dévouement du fils au père, qui filera la mise en scène pour combler les désirs somme toute bien modestes de son géniteur : solder ses comptes avec son passé, et transmettre à ses fils ce petit fragment du rêve américain qu’est le « brand new truck ». La parade finale qui achève le road trip, émancipation du père sous l’œil complice du fils, n’est pas parvenue à se défaire totalement de l’illusion et du recours à la supercherie pour accepter de continuer à vivre ; mais si le silence sur la vérité demeure, il s’accompagne désormais de quelques sourires.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Ven 4 Avr 2014 - 6:54
L’ultra moderne sollicitude
Sans éclats, sans cris, sans douleur apparente, bienvenue dans l’apocalypse ouatée de la civilisation moderne. Elena, récit russe par excellence, conte l’amour filial et la violence de dilemmes affectifs, le déchirement entre les classes et les moyens qu’on trouve pour échapper à la violence d’un système. A ceci près qu’il oblitère volontairement tout souffle, voire toute âme. La vie est un quotidien fait de gestes précis, mécaniques permettant à l’appartement luxueux de rester intact. Propre, lumineux, magnifié par une photographie impeccable, celui-ci propose un découpage singulier de l’espace, où l’on confond un temps l’épouse et la bonne. Lit séparés, chacun sa télévision, la vie se perpétue entre silence et rituel des repas, du lever et du coucher. Lorsque Elena va chez son fils, chômeur d’une banlieue lépreuse, on la surprend à reproduire le même geste, celui d’éteindre l’ampoule du pallier, signe évident d’un rôle identique réparti sur deux pôles, entre lesquels elle devra choisir. Dans cette atmosphère feutrée ou aucun mot ne dépasse des phrases, formulées avec la même rigueur que sur un testament, la mise en scène au cordeau et la musique de Glass instaurent une tension croissante. Une scène de déplacement en voiture, ou en train devient l’objet d’une attente angoissée du spectateur, convaincu que cet univers ne peut se maintenir sur cet équilibre sans, tôt ou tard, imploser. La force du film est de montrer cette brisure comme allant de soi, sans discontinuité avec le quotidien. La même virtuosité du plan séquence souligne un lever du soleil, l’effacement du testament ou l’invasion de l’appartement du mari disparu : vie et mort semblent s’annihiler, et les êtres qui vivent peuvent le faire parce que la survie est l’alibi essentiel à la perte de toute conscience. D’une discrétion magistrale, Zviaguintsev pose ça et là des indices de l’impossible compréhension des personnages entre eux. Nul n’a accès à la démonstration d’amour de la fille à son père sur son lit d’hôpital ; nul ne peut comprendre l’amour d’une mère pour un fils chômeur qui vit à ses crochets et engrosse sa femme en dépit du bon sens. La Russie est un champ de ruines qui n’offre rien : la téléréalité, omniprésent bruit de fond, est le seul point commun entre deux classes nettement séparées. Aux uns, l’intérieur cuir d’une berline et la salle de sport privée. Aux autres, les bastons aux pieds des cheminées de centrales nucléaires. Crime sans châtiment, Elena propose le déclin total et anesthésié d’une société qui fonctionne en vase clos, et dans laquelle la plus grande erreur ne semble pas de tout faire pour aider les siens, mais bien de donner la vie dans un monde sans avenir. Lors d’une séquence subreptice, le train dans lequel Elena se trouve pour rejoindre son fils et lui donner l’argent repart après s’être arrêté. On aperçoit un cheval et son cavalier allongés sur la voie, l’espace de quelques secondes, comme un adieu à la beauté d’un monde encore habité par la grâce, tel que Tarkovski le filmait. Ici, la virtuosité de la mise en scène de Zviaguintsev, qui semble s’inscrire dans son sillage formel, s’acharne surtout à dire en silence la fin de toute transcendance.
Merci @ Goupi Tonkin.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Sam 5 Avr 2014 - 7:16
Homme libre, toujours tu défieras la mort
Ouvrir les yeux. Alors qu’on lui annonce qu’il est condamné, le chevalier Block obtient un répit, une partie d’échec durant laquelle le délai va lui permettre de voir la beauté des choses dernières. Autour de lui, pourtant, l’heure n’est pas à la réjouissance : dans un moyen âge ravagé par deux pestes, la noire et celle du fanatisme religieux, le principal motif qui s’offre à ses yeux avides de sens n’est autre que celui qu’il pensait délaisser : la mort. Sur les fresques, dans le discours des hommes d’église, dans l’épidémie, dans les spectacles de rues, les masques et les déguisements : la mort. Block promène avec la sérénité de l’érudit son regard parmi les différents excès de l’humain face à sa finitude, dans un cortège tour à tour bouffon et violent, cérémonial et cathartique. Deux tendances majeures s’affrontent : le grotesque et le sublime.
La troupe de théâtre illustre la première approche : fête, nourriture, vin, ébats dans une clairière ensoleillée, chants satiriques sur la présence du diable qu’on singe et qui « reste sur l’autre rive ». L’homme du peuple démystifie pour mieux appréhender. Mais ces parenthèses enchantées ne sont que de brèves éclaircies dans un tableau bien sombre, à l’image du pendant à ce grotesque, celui de la taverne. Règne de la méfiance et de la violence, on y malmène l’acteur, bouc émissaire dont on fait un Christ grotesque en le forçant, jusqu’à l’épuisement, à agiter son misérable corps pour le plaisir sadique des attablés. Délibérément shakespeariennes, ces scènes captent avec une justesse miraculeuse les contradictions humaines, l’élan vers la fiction comme les crispations de la superstition. En témoigne encore cet échange où le forgeron, en lutte verbale contre l’amant de sa femme, se voit souffler ses saillies les plus efficaces par l’écuyer à l’arrière-plan.
Face à cette comédie humaine, la superstition et le discours des hommes d’église reprend violemment ses droits. On interrompt le chant bouffon par les chœurs d’une procession expiatoire hallucinée, où les corps suppliciés et les discours imprécatoires tentent vainement de conjurer la Peste Noire. Scènes magistrales, du premier sublime, celui d’une foi galvaudée et fondée sur l’effroi, la menace et la mort comme solution à la mort, où l’on fustige l’homme gras et la femme enceinte avec une violence verbale et une rage sans commune mesure. Les plans d’ensemble, le mouvement des silhouettes, l’agenouillement des spectateurs, tout traduit la folie humaine galvanisée par la menace apocalyptique. Au centre de cette cérémonie, la figure silencieusement habitée de la sorcière, celle qui a vu Satan, celle dont le regard suscitera toutes les interrogations de Block, (qui n’est pas sans rappeler Dreyer et son Jour de Colère) et dont les yeux béants sur le bucher restent gravés dans la rétine du spectateur.
Le témoin en vie provisoire se nourrit de ces contradictions flamboyantes pour alimenter son parcours de savoir et atteindre un nouveau sublime, celui de la sagesse. « Je veux savoir, pas croire », clame-t-il. Mais ne s’offrent à lui que le silence et l’absence de réponse : le mutisme de la sorcière, celui de la mort elle-même. Pas de révélation, pas de parole, pas de discours. Que reste-t-il, dès lors, si ce n’est la valse baroque d’une vie humaine certes vaine, mais non moins belle ? La transfiguration par le visible irradie chaque plan de ce film, et les parallèles avec l’œuvre future de Tarkovski sont innombrables : l’apocalypse du Sacrifice, certes, mais surtout Andrei Roublev et ses chevaux, ses bouffons, sa violence, ses fêtes païennes, ses icones, ses moines et sa lenteur contemplative. A l’écart de la folie du monde, mais sans jamais la quitter des yeux, Bergman accentue la lenteur et compose de splendides portraits. La photographie, la lumière, dans un noir et blanc somptueux, substitue à l’absence du discours la révélation des visages. Rares sont les cinéastes capables de bouleverser à ce point par la seule force de leur picturalité.
Progressivement, le chevalier a entrainé à sa suite une petite troupe sereine qui se résigne avec une sagesse croissante à l’imminence de sa fin. Le répit aura été profitable, lors d’une séquence solaire où l’on partage un repas de fraises sauvages et de lait frais, utopie d’un bonheur à portée de main, euphorisant parce qu’accessible, poignant parce qu’éphémère. Seront sauvés les bouffons et leur fils, promesse d’un renouveau printanier qui pourra, peut-être, effacer les traces de l’épidémie obscurantiste. Alors que Block regardait dans le but de comprendre, l’acteur Jof a toujours laissé ses visions poétiser le réel, soutenu par le sourire bienveillant de sa femme. Lors de la procession finale, Block et sa communauté sont devenus une vision de ce dernier témoin, qui conte avec sérénité la mort des hommes, mise en abyme du sublime projet du cinéaste lui-même : s’il n’a pas donné de réponses, il a su éblouir et donner du sens à cette dérisoire existence qu’est la nôtre.
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Sam 5 Avr 2014 - 11:42
Nulladies a écrit:
L’ultra moderne sollicitude
Sans éclats, sans cris, sans douleur apparente, bienvenue dans l’apocalypse ouatée de la civilisation moderne. Elena, récit russe par excellence, conte l’amour filial et la violence de dilemmes affectifs, le déchirement entre les classes et les moyens qu’on trouve pour échapper à la violence d’un système. A ceci près qu’il oblitère volontairement tout souffle, voire toute âme. La vie est un quotidien fait de gestes précis, mécaniques permettant à l’appartement luxueux de rester intact. Propre, lumineux, magnifié par une photographie impeccable, celui-ci propose un découpage singulier de l’espace, où l’on confond un temps l’épouse et la bonne. Lit séparés, chacun sa télévision, la vie se perpétue entre silence et rituel des repas, du lever et du coucher. Lorsque Elena va chez son fils, chômeur d’une banlieue lépreuse, on la surprend à reproduire le même geste, celui d’éteindre l’ampoule du pallier, signe évident d’un rôle identique réparti sur deux pôles, entre lesquels elle devra choisir. Dans cette atmosphère feutrée ou aucun mot ne dépasse des phrases, formulées avec la même rigueur que sur un testament, la mise en scène au cordeau et la musique de Glass instaurent une tension croissante. Une scène de déplacement en voiture, ou en train devient l’objet d’une attente angoissée du spectateur, convaincu que cet univers ne peut se maintenir sur cet équilibre sans, tôt ou tard, imploser. La force du film est de montrer cette brisure comme allant de soi, sans discontinuité avec le quotidien. La même virtuosité du plan séquence souligne un lever du soleil, l’effacement du testament ou l’invasion de l’appartement du mari disparu : vie et mort semblent s’annihiler, et les êtres qui vivent peuvent le faire parce que la survie est l’alibi essentiel à la perte de toute conscience. D’une discrétion magistrale, Zviaguintsev pose ça et là des indices de l’impossible compréhension des personnages entre eux. Nul n’a accès à la démonstration d’amour de la fille à son père sur son lit d’hôpital ; nul ne peut comprendre l’amour d’une mère pour un fils chômeur qui vit à ses crochets et engrosse sa femme en dépit du bon sens. La Russie est un champ de ruines qui n’offre rien : la téléréalité, omniprésent bruit de fond, est le seul point commun entre deux classes nettement séparées. Aux uns, l’intérieur cuir d’une berline et la salle de sport privée. Aux autres, les bastons aux pieds des cheminées de centrales nucléaires. Crime sans châtiment, Elena propose le déclin total et anesthésié d’une société qui fonctionne en vase clos, et dans laquelle la plus grande erreur ne semble pas de tout faire pour aider les siens, mais bien de donner la vie dans un monde sans avenir. Lors d’une séquence subreptice, le train dans lequel Elena se trouve pour rejoindre son fils et lui donner l’argent repart après s’être arrêté. On aperçoit un cheval et son cavalier allongés sur la voie, l’espace de quelques secondes, comme un adieu à la beauté d’un monde encore habité par la grâce, tel que Tarkovski le filmait. Ici, la virtuosité de la mise en scène de Zviaguintsev, qui semble s’inscrire dans son sillage formel, s’acharne surtout à dire en silence la fin de toute transcendance.
Merci @ Goupi Tonkin.
Bravo
Citation :
On aperçoit un cheval et son cavalier allongés sur la voie, l’espace de quelques secondes, comme un adieu à la beauté d’un monde encore habité par la grâce, tel que Tarkovski le filmait. Ici, la virtuosité de la mise en scène de Zviaguintsev, qui semble s’inscrire dans son sillage formel, s’acharne surtout à dire en silence la fin de toute transcendance.
Oui, on y pense. Forcément...
Azbinebrozer personne âgée
Nombre de messages : 2751 Date d'inscription : 12/03/2013 Age : 63 Localisation : Teuteuil Humeur : mondaine
Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Sam 5 Avr 2014 - 19:16
Nulladies a écrit:
RabbitIYH a écrit:
Très belle critique la fin est quand même d'une noirceur assez ultime, derrière son traitement presque nonchalant.
Ah oui, carrément. D'où la façon, par des moyens opposés, de rejoindre La Vérité...
Merci à vous ! J'ai vu et adoré ce truc un peu long mais croustillant. Oui ce n'est pas rose, mais ça passe par l'élégance de la comédie hollywoodienne des années 50 ! Quelle régalade ! En deux semaines je viens de me faire 2 Tarkowski : "Le miroir" et "Stalker" hier soir ! ça marne après dans la tête... Avec tous vos conseils, je n'ai presque plus le temps de voir "Des chiffres et des lettres", "Soir 3" !... Tarkov c'était un peu le Bergman de ma génération et j'en avais vu si peu, moins que des Bergman... Plus chaleureux ou plus russe ? Il me reste aussi Solaris... J'avais adoré "Le septième sceaux"...
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Sam 5 Avr 2014 - 20:06
Azbinebrozer a écrit:
Nulladies a écrit:
RabbitIYH a écrit:
Très belle critique la fin est quand même d'une noirceur assez ultime, derrière son traitement presque nonchalant.
Ah oui, carrément. D'où la façon, par des moyens opposés, de rejoindre La Vérité...
Merci à vous ! J'ai vu et adoré ce truc un peu long mais croustillant. Oui ce n'est pas rose, mais ça passe par l'élégance de la comédie hollywoodienne des années 50 ! Quelle régalade ! En deux semaines je viens de me faire 2 Tarkowski : "Le miroir" et "Stalker" hier soir ! ça marne après dans la tête... Avec tous vos conseils, je n'ai presque plus le temps de voir "Des chiffres et des lettres", "Soir 3" !... Tarkov c'était un peu le Bergman de ma génération et j'en avais vu si peu, moins que des Bergman... Plus chaleureux ou plus russe ? Il me reste aussi Solaris... J'avais adoré "Le septième sceaux"...
Joli programme ! Solaris est aussi très bien, plus abordable que Stalker. Enjoy !
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 9:38
La parole est serment, le silence le tord
L’idée de départ est d’une simplicité confondante : instaurer un dialogue entre une femme prolixe et sa patiente, aphasique. Laisser durer, dériver l’échange, l’essorer et recueillir les larmes, le sang et le fiel qui en résulte. Elisabeth, comédienne, se tait depuis trois mois. On explique à sa place ses intentions, louables et dignes d’admiration : intégrité, refus du mensonge, rejet du masque social. Face à elle, Alma, son infirmière et dame de compagnie, dont le destin sécurisant est tout tracé : un mari, des enfants, et une foi indéfectible dans les vertus de la parole. Alma va donc avoir la tâche de parler pour deux. Très vite, elle se confie. Face à ce silence qu’elle doit combler, elle voit toutes les invitations formulées à son monologue de plus en plus intime, de plus en plus habité. Elisabeth, silencieuse et magistrale, écoute, et son regard semble en effet bienveillant. Bergman filme comme personne les visages, le grain de la peau, la lumière sur le front ou le galbe d’une joue. Alma est face à un écran silencieux, et y trace les contours de ses propres névroses. Du monde, nous n’avons plus que ces deux figures féminines, belles et complémentaires, à quelque exception près : l’intrusion du réel et de sa violence guette : l’immolation, le nazisme, comme des fragments de verre brisé sur la terrasse. Vampirique, Alma fusionne avec sa patiente devenue son analyste. Terriblement seule face à cette femme forcée de l’écouter, elle projette sur elle tout ce qu’elle désire et s’épanche, allant jusqu’à lui parler dans son sommeil. L’accès à ses pensées par le biais de la lettre, loin de permettre un échange, va au contraire crisper les deux partis et entériner l’impossible fusion des individus. [Spoilers] L’escalade de la violence des échanges, le silence de plus en plus assourdissant conduisent à la confusion et la révélation. Il est possible de considérer Elisabeth et Alma comme une seule et même personne, au vu notamment de l’intrusion du mari dans la maison. Alma, celle qui parle, serait la conscience malade d’Elisabeth et son dialogue interne avec elle-même, derrière la Persona mutique qu’elle offre au monde, comme en atteste cette confession finale sur les origines du mal, cet enfant qu’on aurait aimé ne pas avoir, relecture de celle d’Alma sur son avortement réussi. Sur cette idée, Bergman serait alors parvenu à, force de scruter les visages, à percer leur mystère pour nous mener dans les méandres de leur coulisse. C’est bien ce qu’annonce le prologue expérimental : derrière la façade, l’image, le collage de la représentation, un sens épars et mystérieux, qui se dérobe et se déroule comme les mouvements reptiliens de cette pellicule de film.
Esther Yul le grincheux
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 10:01
Film très con, mais j'ai bien ri quand même!
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 10:49
Nulladies a écrit:
La parole est serment, le silence le tord
L’idée de départ est d’une simplicité confondante : instaurer un dialogue entre une femme prolixe et sa patiente, aphasique. Laisser durer, dériver l’échange, l’essorer et recueillir les larmes, le sang et le fiel qui en résulte. Elisabeth, comédienne, se tait depuis trois mois. On explique à sa place ses intentions, louables et dignes d’admiration : intégrité, refus du mensonge, rejet du masque social. Face à elle, Alma, son infirmière et dame de compagnie, dont le destin sécurisant est tout tracé : un mari, des enfants, et une foi indéfectible dans les vertus de la parole. Alma va donc avoir la tâche de parler pour deux. Très vite, elle se confie. Face à ce silence qu’elle doit combler, elle voit toutes les invitations formulées à son monologue de plus en plus intime, de plus en plus habité. Elisabeth, silencieuse et magistrale, écoute, et son regard semble en effet bienveillant. Bergman filme comme personne les visages, le grain de la peau, la lumière sur le front ou le galbe d’une joue. Alma est face à un écran silencieux, et y trace les contours de ses propres névroses. Du monde, nous n’avons plus que ces deux figures féminines, belles et complémentaires, à quelque exception près : l’intrusion du réel et de sa violence guette : l’immolation, le nazisme, comme des fragments de verre brisé sur la terrasse. Vampirique, Alma fusionne avec sa patiente devenue son analyste. Terriblement seule face à cette femme forcée de l’écouter, elle projette sur elle tout ce qu’elle désire et s’épanche, allant jusqu’à lui parler dans son sommeil. L’accès à ses pensées par le biais de la lettre, loin de permettre un échange, va au contraire crisper les deux partis et entériner l’impossible fusion des individus. [Spoilers] L’escalade de la violence des échanges, le silence de plus en plus assourdissant conduisent à la confusion et la révélation. Il est possible de considérer Elisabeth et Alma comme une seule et même personne, au vu notamment de l’intrusion du mari dans la maison. Alma, celle qui parle, serait la conscience malade d’Elisabeth et son dialogue interne avec elle-même, derrière la Persona mutique qu’elle offre au monde, comme en atteste cette confession finale sur les origines du mal, cet enfant qu’on aurait aimé ne pas avoir, relecture de celle d’Alma sur son avortement réussi. Sur cette idée, Bergman serait alors parvenu à, force de scruter les visages, à percer leur mystère pour nous mener dans les méandres de leur coulisse. C’est bien ce qu’annonce le prologue expérimental : derrière la façade, l’image, le collage de la représentation, un sens épars et mystérieux, qui se dérobe et se déroule comme les mouvements reptiliens de cette pellicule de film.
Tout ce que je déteste chez le Bergman des 60s et parfois d'après, on pourra trouver toute la signification qu'on veut à ces silences, c'est juste chiant et arty au possible, suranalytique, théâtral, et finalement plus creux que mystérieux.
Dernière édition par RabbitIYH le Dim 6 Avr 2014 - 12:30, édité 1 fois
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 10:54
Ah, ça fait plaisir qu'on soit pas d'accord dans l'autre sens ! Théâtral et suranalytique, oui. Creux et chiant, tututut...
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 17:34
Du biscornu parano filmé à la snory-cam et qui a tout d'un épisode longue durée de La quatrième dimension, avec en sus pour les érotomanes déviants une ample séquence de paganisme où des créatures flavescentes et proto-hippies écrasent du raisin avec leur pieds et boivent du vin les nichons à l'air... Mais l'effet spécial le plus spécial de ce film (positivement flippant dans son dernier quart ) reste ce bon vieux Rock Hudson qui réalise l'exploit d'être aussi viril que Don Draper et aussi chochotte que Maria schell, le tout dans le même plan. J'adore ce mec. Quel est le con qui a dit que la filmo de Frankenheimer était carrée mais sans surprise ?
ps : une fois de plus le visu du générique signé Saul Bass déchire
Dernière édition par Goupi Tonkin le Dim 6 Avr 2014 - 18:31, édité 1 fois
Invité Invité
Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 18:22
Ça m'intéresse ça, je note !
Nulladies a écrit:
Ah, ça fait plaisir qu'on soit pas d'accord dans l'autre sens ! Théâtral et suranalytique, oui. Creux et chiant, tututut...
Faut pas croire, je je suis pas toujours aussi bon public si un jour tu t'attaques à un cycle nouveau cinéma asiatique j'en connais quelques-uns qui se vont se faire vider les tripes à coups de machette. Notamment Jia Zhangke dont même le dernier film annoncé plus romanesque et violent n'a pas réussi à m'accrocher plus d'une demi-heure.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 18:28
Putain, c'est excellent : je ne connaissais pas le nom que tu viens de citer, mais j'ai pensé au film le plus chiant de la planète, vu il y a quinze ans en salle. Je me suis dit, peut-être que c'est le même réal... BINGO ! Xiao Wu, artisan pickpocket, 1999. CO pour les inrocks et les Cahiers, j'ai cru crever. C'est devenu un mythe pour ma femme et moi. On s'endormait chacun notre tour, et quand l'un se réveillait, l'autre lui disait "Nan, t'inquiète, il s'est rien passé de toute façon".
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 18:29
et donc maintenant je prends conscience que ce fameux Touch of Sin que je veux absolument voir depuis l'an dernier est de lui...
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 18:43
Nulladies a écrit:
Putain, c'est excellent : je ne connaissais pas le nom que tu viens de citer, mais j'ai pensé au film le plus chiant de la planète, vu il y a quinze ans en salle. Je me suis dit, peut-être que c'est le même réal... BINGO ! Xiao Wu, artisan pickpocket, 1999. CO pour les inrocks et les Cahiers, j'ai cru crever. C'est devenu un mythe pour ma femme et moi. On s'endormait chacun notre tour, et quand l'un se réveillait, l'autre lui disait "Nan, t'inquiète, il s'est rien passé de toute façon".
Citation :
Xiao Wu, artisan pickpocket, 1999.
j'ai vachement envie de voir ce film. Parait que c'est bourré de références au CO de Bresson :
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 18:51
Goupi Tonkin a écrit:
Nulladies a écrit:
Putain, c'est excellent : je ne connaissais pas le nom que tu viens de citer, mais j'ai pensé au film le plus chiant de la planète, vu il y a quinze ans en salle. Je me suis dit, peut-être que c'est le même réal... BINGO ! Xiao Wu, artisan pickpocket, 1999. CO pour les inrocks et les Cahiers, j'ai cru crever. C'est devenu un mythe pour ma femme et moi. On s'endormait chacun notre tour, et quand l'un se réveillait, l'autre lui disait "Nan, t'inquiète, il s'est rien passé de toute façon".
Citation :
Xiao Wu, artisan pickpocket, 1999.
j'ai vachement envie de voir ce film. Parait que c'est bourré de références au CO de Bresson :
Possible, vu à quel point l'unique Bresson que j'avais vu à l'époque (L'argent, on en avait déjà parlé) m'avait aussi fait chier...
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 19:48
Ouais j'ai aucun doute sur le fait que ce type adore Bresson.
Et encore Nulladies t'as sans doute pas vu le pire : The World, je sais pas comment j'ai pu regarder ça jusqu'au bout, sans doute parce que j'étais étudiant et qu'avoir payé 5 boules pour sortir avant la fin ça me faisait trop mal au coeur.
Bref, top 5 des cinéastes asiatiques les plus surestimés des 15 dernières années avec Lou Ye, Hong Sang-soo, Hou Hsiao-Hsien (qu'avant j'aimais bien pourtant) et Apichatpong Nivuniconnujtenkhul Weerasethakul.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 20:04
RabbitIYH a écrit:
Ouais j'ai aucun doute sur le fait que ce type adore Bresson.
Et encore Nulladies t'as sans doute pas vu le pire : The World, je sais pas comment j'ai pu regarder ça jusqu'au bout, sans doute parce que j'étais étudiant et qu'avoir payé 5 boules pour sortir avant la fin ça me faisait trop mal au coeur.
Bref, top 5 des cinéastes asiatiques les plus surestimés des 15 dernières années avec Lou Ye, Hong Sang-soo, Hou Hsiao-Hsien (qu'avant j'aimais bien pourtant) et Apichatpong Nivuniconnujtenkhul Weerasethakul.
HHH m'avait bien saoulé, mais sur un seul film, je me souviens même plus lequel. Weerasethakul, il faudra quand même que je je m'en fasse ma propre idée... Tiens, sur SC, je vois souvent passer des critiques délirantes sur Sono Sion. T'en penses quelque chose ?
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 20:16
HHH j'ai encore de la sympathie pour Goodbye South Goodbye et il paraît que Les fleurs de Shanghai est "superbe quoi qu'un peu trop contemplatif" (non, sans déc ? ) dixit ma femme mais après c'est vraiment la dégringolade (la palme à Café lumière, si Ozu se retournait encore dans sa tombe de temps en temps là c'est sûr qu'il se réveillera plus !).
De Sion j'ai essayé de regarder Suicide Club y a longtemps mais la DV a failli me faire entrer dans le club. Donc j'en pense pas grand chose. Quitte à regarder des trucs aussi hideux visuellement autant taper dans les mauvais Miike, il reste toujours quekques passages assez réjouissants.
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8.... Dim 6 Avr 2014 - 21:05
RabbitIYH a écrit:
Ouais j'ai aucun doute sur le fait que ce type adore Bresson.
Que tu dises des conneries sur Weerasethakul pour faire rire ton petit camarade Nulladies ( qui soit dit en passant pousse quand même le snobisme à ne pas aller au bout du Prénom, parce que tu comprends c'est trop populo-naze-théâtre-filmé, mais qui se goinfre quand même l'intégralité de 300 qui est un sommet de laideur en matière d'images animées sur grand écran ), c'est pas très grave, Neuhoff et d'autres l'on fait avant toi avec une mauvaise foi plutôt amusante, mais sur Bresson, ça va très vite relever de la claque dans le pif. (smiley mon cul qui ricane de rigueur )
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Sujet: Re: En visionnage : DVD / Divx / vhs / Super 8....