Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mar 20 Oct 2015 - 8:44
Pas trop pour moi tout ça. Ce que j'aime bien dans Cyrano c'est le tragique qui contamine l’atmosphère, la musique, les couleurs, en effet Depardieu surjoue, en même temps c'est volontairement théâtral avec respect assez jusqu’au-boutiste du texte original et du coup dans les moments plus intimistes il est assez touchant je trouve, notamment à la fin. Le hussard essaie de retrouver cette noirceur mais c'est un peu trop calibré grand spectacle pour me procurer le même genre d’émotion.
Dernière édition par RabbitIYH le Mar 20 Oct 2015 - 15:18, édité 1 fois
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mar 20 Oct 2015 - 9:11
RabbitIYH a écrit:
Pas trop pour moi tout ça. Ce que j'aime bien dans Cyrano c'est le tragique qui contamine l’atmosphère, la musique, les couleurs, en effet Depardieu surjoue, en même temps c'est volontairement théâtral avec respect assez jusqu’au-boutiste du texte original et du coup dans les moments plus intimiste il est assez touchant je trouve, notamment à la fin. Le hussard essaie de retrouver cette noirceur mais c'est un peu trop calibré grand spectacle pour me procurer le même genre d’émotion.
En fait, je n'ai rien vu de lui à part les quatre derniers. Je ne connaissais pas trop son domaine comédie classique. J'ai beaucoup de sympathie pour son Cyrano, alors que je connais très bien le texte. Je trouve que l'adaptation est réussie.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Jeu 22 Oct 2015 - 7:10
Sun on a beach.
Much Loved pourrait être envisagé comme une suite possible à Mustang : constater les destins possibles de jeunes filles livrées à elles-mêmes dans la grande ville, ici Marrakech, et optant pour la prostitution. L’enjeu est donc double : dévoiler le quotidien de ces femmes et confronter leur profession honteuse à une société qui la cache plus que d’autres. De ce point de vue, la gestion de l’espace est particulièrement travaillée : il ne s’agit pas simplement d’un huis clos où la réalité sordide se déroulerait dans l’étroitesse d’une chambre de passe. Nabil Ayouch prend soin de décliner les lieux investis : grands salons des hôtels de luxe trustés par les saoudiens, boîtes de nuits colonisées par les européens, jusque dans la rue et les voitures, voire les salles d’interrogatoire du commissariat : le sexe est partout, et partout on le cache. La rue silencieuse juge les filles d’une joie secrète et niée, et cette porosité entre espace privé et public est sans doute l’une des armes argumentatives les plus efficaces du réalisateur. Résolument documentaire, (on est aux antipodes du bordel moiré et esthétisant de L’Apollonide de Bonello) son film parvient à maintenir un équilibre ténu : sans concession mais jamais voyeuriste, brutal mais pas sordide, il prend à bras le corps le quotidien éprouvant de ces femmes sans en faire des victimes absolues. Leurs disputes, leurs aspirations fantasmatiques à une vie à l’occidentale disent autant leur misère que leur manque d’éducation. L’une des scènes les plus troubles est ainsi la manipulation de l’une d’elle sur un français éperdument amoureux, qui pourrait se révéler un bon parti et une source de revenu permanent. Ce jeu avec les sentiments inféodés à la nécessité (qui renvoie à l’une des problématiques de Eastern Boys) nous présente, des deux côtés, des désespérés, qu’ils le soient dans leur cœur ou dans leurs finances. Mais le film s’attache aussi au portrait d’une communauté solidaire dans l’adversité : bannies, cachées, les prostituées sont soudées autour d’un personnage, Saïd, qui les choit et accueille une nouvelle candidate venue de la campagne avec une motivation ambivalente : la faire basculer dans la prostitution tout en lui offrant un foyer et du soutien. Grâce au talent de ses comédiennes, Ayouch restitue l’énergie formidable de ces femmes, leur hargne et leur revanche sur la soumission. Leur langage cru, leur humour et leur foi font écho aux échanges des travestis dans Tout sur ma mère d’Almodovar, permettant au spectateur de dépasser les préjugés dont elle sont victimes en nous les rendant familières. Le film n’évite pas certains gros traits, notamment dans le catalogue qu’il fait des déclinaisons possibles : chaque prostituée représente un type, de même que tous les clients sont listés. Mais il parvient tout de même à ne pas sombrer dans la charge didactique, notamment par une approche subtile des questions religieuses : le regard de la rue, la débauche des saoudiens, la corruption policière ou la complicité des européens sont des touches subtiles d’un tableau dont la somme est proprement effrayante. C’est dans ce paradoxe que se joue finalement toute la démonstration du film : soumises et rejetées, souillées et brutalisées, ces femmes brillent pourtant par leur déclaration insolente de liberté.
Azbinebrozer personne âgée
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 25 Oct 2015 - 17:09
Nulladies a écrit:
Sans chair et triste, hélas.
Tous les indicateurs étaient à l’optimisme. Un Woody Allen qui ne se situe pas quelque part en Europe et son lot de cartes postales de chez les nantis, qui ne se passe pas non plus dans le passé pour sa collection de tableaux sur les chromes rutilants d’une époque fantasmée : deux bonnes nouvelles. Un Woody Allen prenant pour protagoniste un prof de philo nihiliste et s’annonçant comme grinçant, loin des comédies vaines des dernières décennies : un raison supplémentaire de nous mettre dans un appétit qu’on ne se connaissait plus face à sa livraison annuelle.
Quoi qu’il fasse désormais, le très bientôt octogénaire marche sur ses propres traces. Ici, la mention du Crime et Châtiments de Dostoïevski assume une filiation avec deux de ses meilleurs films, Crimes et délits et Match Point. Et c’est peu de dire que la comparaison ne lui rend pas service. Il est assez saisissant de constater à quel point le réalisateur se fourvoie dans ses propres automatismes : il ne suffit pas d’écrire des situations ou d’inventer un pitch pour qu’un film prenne chair. Allen enchaine avec un tel stakhanovisme, et depuis tant d’années ses productions qu’il ne semble plus apte à considérer le processus de maturation dont elles pourraient bénéficier. Dans cet opus comme dans tant d’autres, tout n’est qu’esquisse. Les personnages sont des fonctions et non des individus, des idées plus ou moins malicieuses, les milieux des références, qui semblent paresseusement nous dire « Cf. les autres films sur le même sujet ». La satire du campus universitaire, du prof blasé et de la sémillante étudiante, le policier ou la tragédie morale, rien n’est creusé, tout n’est que renvoi à un terrain qui, certes, ne peut qu’être connu du spectateur fidèle à Allen. En résulte une petite histoire aseptisée dans laquelle un Phoenix au gros ventre et une Emma Stone aux grands yeux récitent avec une diction irréprochable les nouvelles saillies du vieux maitre, ponctuées d’un unique motif musical dont la répétition incessante confesse elle aussi la fatigue de toute l’entreprise. Le plus étonnant est qu’on nous annonce ce film comme cynique et grinçant. Après une exposition assez laborieuse, durant laquelle l’attirance pour le prof est loin d’être convaincante, (comme de plus en plus souvent chez Allen, où les sentiments sont écrits, et non incarnés), le fameux twist excite en effet : tuer pour redonner un sens à la vie. Mais tout est si facile, d’une telle linéarité qu’on ne peut pas une seconde entrer en empathie avec ce personnage, et de ce fait faire nôtre le soit disant dilemme moral en présence. Certes, son regain de vie et sa transformation permettent au film de se relancer, mais ce n’est pas le policier en découlant qui compensera les paresses initiales. On peut un temps se réjouir de voir la jubilation du criminel à jouer avec le feu des indices, mais le tout se noie rapidement dans une surexplicitation pénible, notamment par le recours aux voix off d’une inutilité totale, tant les protagonistes passent déjà leur temps à déblatérer, en pseudo philosophes, sur des questions qui n’en demandaient pas tant. On sait pourtant à quel point le pessimisme de Woody Allen peut nourrir de vrais personnages, même récents, dans la veine comique avec Anything Else ou plus touchante dans Whatever Works.
On ne s’étendra pas sur ce final froussard en diable au regard des infiniment plus complexes Crime et Délits ou Match Point : pirouette morale convoquant la « chance », petite malice sans saveur, justice immanente, ces recettes sont à la mesure du film : l’application sans grande conviction de formules décharnées. C’est bien là, en somme, que se loge le véritable pessimisme : celui de voir un génie incapable de se taire, puisqu’il semble avoir déjà tout dit.
Pas loin de ça pour moi aussi, mais... Je me suis bien ennuyé jusqu'à ce que le film parte en coucouillette et tourne au n'importe quoi qui m'a fait sourire plusieurs fois... Phoenix ne m'a pas convaincu dans cette première partie, mais est-ce vraiment sa faute ? Emma Stone par contre 20/20 ! Le final est-il froussard ?... On ne peut pas vraiment comparer par exemple avec Match point qui décrivait un monde réel, une mécanique de classes. Comme disait mon boucher, le réel est le rationnel, le rationnel est le réel. Aucune autre issue possible pour ce film irréel à mon sens, à moins de foncer tous à l'asile d'urgence !! Bref sur une illusion de gravité (thème récurrent depuis longtemps chez le cinéaste), il faut croire que Woody nous propose la dose d'entertainement de la semaine ! Circulez !
Zwaffle un mont de verres
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 26 Oct 2015 - 10:56
honnêtement j'avais assez peur en allant voir le film
faut dire que le père Scott est quand même assez peu constant question qualité
mais au final, très bonne surprise que ce film qui vient droit dans la lignée de "Gravity" (le côté survival) et "Interstellar" (le côté gros casting et l'histoire qui s'étale sur la durée)
alors certes rien à chercher de métaphysique là-dedans, on est dans le pur divertissement mais de ce côté-là, mission réussie, le scénario est bien ficelé, il y a de l'humour, les acteurs sont bien (Matt Damon fait son Matt Damon mais ça lui va bien)
bref, on pourrait lui trouver une palanquée de défauts si on voulait chipoter mais perso j'ai passé un très bon moment
Azbinebrozer personne âgée
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 26 Oct 2015 - 11:46
Zwaffle a écrit:
honnêtement j'avais assez peur en allant voir le film
faut dire que le père Scott est quand même assez peu constant question qualité
mais au final, très bonne surprise que ce film qui vient droit dans la lignée de "Gravity" (le côté survival) et "Interstellar" (le côté gros casting et l'histoire qui s'étale sur la durée)
alors certes rien à chercher de métaphysique là-dedans, on est dans le pur divertissement mais de ce côté-là, mission réussie, le scénario est bien ficelé, il y a de l'humour, les acteurs sont bien (Matt Damon fait son Matt Damon mais ça lui va bien)
bref, on pourrait lui trouver une palanquée de défauts si on voulait chipoter mais perso j'ai passé un très bon moment
Pareil très bon moment ! Si quelqu'un a des infos sur le Ridley et le pourquoi du comment il a voulu faire ce film ? Allo les arcanes des blockbuster ?! On reconnait bien des choses du Ridley mais pas trop sa tonalité habituelle... Et perso cela ma va tout à fait !
Azbinebrozer personne âgée
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 26 Oct 2015 - 13:25
Azbinebrozer a écrit:
Zwaffle a écrit:
honnêtement j'avais assez peur en allant voir le film
faut dire que le père Scott est quand même assez peu constant question qualité
mais au final, très bonne surprise que ce film qui vient droit dans la lignée de "Gravity" (le côté survival) et "Interstellar" (le côté gros casting et l'histoire qui s'étale sur la durée)
alors certes rien à chercher de métaphysique là-dedans, on est dans le pur divertissement mais de ce côté-là, mission réussie, le scénario est bien ficelé, il y a de l'humour, les acteurs sont bien (Matt Damon fait son Matt Damon mais ça lui va bien)
bref, on pourrait lui trouver une palanquée de défauts si on voulait chipoter mais perso j'ai passé un très bon moment
Pareil très bon moment ! Si quelqu'un a des infos sur le Ridley et le pourquoi du comment il a voulu faire ce film ? Allo les arcanes des blockbuster ?! On reconnait bien des choses du Ridley mais pas trop sa tonalité habituelle... Et perso cela ma va tout à fait !
Au fait t'as-tu fini tes patates ce midi ?
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Jeu 5 Nov 2015 - 6:55
Le tenace fantôme.
Du made in France qui fantasme un super héros dans New York grâce à une animation en 2D : le simple projet de Phantom Boy a quelque chose d’alléchant dans la galaxie de pixels qu’est désormais le divertissement destiné à la jeunesse. Résolument à l’ancienne, le film se distingue tout d’abord par son esthétique ; cohérente, elle a le mérite de ne pas sembler fauchée ou entreprise par dépit, et représente une ville presque rétro, sur laquelle les envolées du jeune homme occasionne un surplomb fluide et magique, tout en lenteur immatérielle. Ici, point d’action à tombeau ouvert, tout est sous l’égide d’une présence fantomatique qui va feutrer les enjeux du récit. Car l’image est bien en adéquation avec l’intrigue, linéaire et banale entre toute (déjouer les plans d’un méchant mégalomane résolu à raser la ville), mais désactivée au point de coller avec des thématiques bien plus profondes. Leo est en effet malade et passe le plus clair de son temps dans un hôpital. Les échappées de son corps lui permettent de ramener les autres malades en perdition fantomatique, mais aussi d’assister à la détresse que ses parents tentent de lui cacher quant à son état de santé. Il forme par la suite un duo avec un policier immobilisé en devenant ses yeux dans la ville aux prises avec le dangereux psychopathe : il n’est qu’un regard, incapable d’interagir. C’est là la beauté mélancolique du film que de laisser à l’enfant sa fragilité en dépit de son habilité magique : narrateur face à l’adulte, il constate et guide, il partage son imaginaire pour empêcher la propagation d’un virus informatique qui détruirait la ville. Le parallèle avec son combat contre la maladie est certes évident, mais néanmoins subtil pour le jeune public auquel il s’adresse. Léo s’évade de son lit, convoque la figure du policier et de l’adulte pour mobiliser les forces vives à même d’éradiquer le mal. Sans pathos excessif, avec pudeur et grâce à une animation singulière, Phantom Boy touche au but : c’est par la délicatesse d’une présence immatérielle qu’on circonscrit les plus grandes douleurs.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Jeu 5 Nov 2015 - 6:56
Azbinebrozer a écrit:
Zwaffle a écrit:
honnêtement j'avais assez peur en allant voir le film
faut dire que le père Scott est quand même assez peu constant question qualité
mais au final, très bonne surprise que ce film qui vient droit dans la lignée de "Gravity" (le côté survival) et "Interstellar" (le côté gros casting et l'histoire qui s'étale sur la durée)
alors certes rien à chercher de métaphysique là-dedans, on est dans le pur divertissement mais de ce côté-là, mission réussie, le scénario est bien ficelé, il y a de l'humour, les acteurs sont bien (Matt Damon fait son Matt Damon mais ça lui va bien)
bref, on pourrait lui trouver une palanquée de défauts si on voulait chipoter mais perso j'ai passé un très bon moment
Pareil très bon moment ! Si quelqu'un a des infos sur le Ridley et le pourquoi du comment il a voulu faire ce film ? Allo les arcanes des blockbuster ?!
J'étais absolument pas emballé par la bande annonce. Et puis un peu partout, mes contacts de confiance (dont vous, bien entendu) m'en disent du bien. Je vais peut-être lui donner sa chance, finalement.
Invité Invité
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Jeu 5 Nov 2015 - 7:23
Nulladies a écrit:
Le tenace fantôme.
Du made in France qui fantasme un super héros dans New York grâce à une animation en 2D : le simple projet de Phantom Boy a quelque chose d’alléchant dans la galaxie de pixels qu’est désormais le divertissement destiné à la jeunesse. Résolument à l’ancienne, le film se distingue tout d’abord par son esthétique ; cohérente, elle a le mérite de ne pas sembler fauchée ou entreprise par dépit, et représente une ville presque rétro, sur laquelle les envolées du jeune homme occasionne un surplomb fluide et magique, tout en lenteur immatérielle. Ici, point d’action à tombeau ouvert, tout est sous l’égide d’une présence fantomatique qui va feutrer les enjeux du récit. Car l’image est bien en adéquation avec l’intrigue, linéaire et banale entre toute (déjouer les plans d’un méchant mégalomane résolu à raser la ville), mais désactivée au point de coller avec des thématiques bien plus profondes. Leo est en effet malade et passe le plus clair de son temps dans un hôpital. Les échappées de son corps lui permettent de ramener les autres malades en perdition fantomatique, mais aussi d’assister à la détresse que ses parents tentent de lui cacher quant à son état de santé. Il forme par la suite un duo avec un policier immobilisé en devenant ses yeux dans la ville aux prises avec le dangereux psychopathe : il n’est qu’un regard, incapable d’interagir. C’est là la beauté mélancolique du film que de laisser à l’enfant sa fragilité en dépit de son habilité magique : narrateur face à l’adulte, il constate et guide, il partage son imaginaire pour empêcher la propagation d’un virus informatique qui détruirait la ville. Le parallèle avec son combat contre la maladie est certes évident, mais néanmoins subtil pour le jeune public auquel il s’adresse. Léo s’évade de son lit, convoque la figure du policier et de l’adulte pour mobiliser les forces vives à même d’éradiquer le mal. Sans pathos excessif, avec pudeur et grâce à une animation singulière, Phantom Boy touche au but : c’est par la délicatesse d’une présence immatérielle qu’on circonscrit les plus grandes douleurs.
Tiens, par la paire d'auteurs d'Une vie de chat... c’était déjà pas mal du tout.
Dernière édition par RabbitIYH le Jeu 5 Nov 2015 - 14:33, édité 1 fois
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Jeu 5 Nov 2015 - 7:29
RabbitIYH a écrit:
Nulladies a écrit:
Le tenace fantôme.
Du made in France qui fantasme un super héros dans New York grâce à une animation en 2D : le simple projet de Phantom Boy a quelque chose d’alléchant dans la galaxie de pixels qu’est désormais le divertissement destiné à la jeunesse. Résolument à l’ancienne, le film se distingue tout d’abord par son esthétique ; cohérente, elle a le mérite de ne pas sembler fauchée ou entreprise par dépit, et représente une ville presque rétro, sur laquelle les envolées du jeune homme occasionne un surplomb fluide et magique, tout en lenteur immatérielle. Ici, point d’action à tombeau ouvert, tout est sous l’égide d’une présence fantomatique qui va feutrer les enjeux du récit. Car l’image est bien en adéquation avec l’intrigue, linéaire et banale entre toute (déjouer les plans d’un méchant mégalomane résolu à raser la ville), mais désactivée au point de coller avec des thématiques bien plus profondes. Leo est en effet malade et passe le plus clair de son temps dans un hôpital. Les échappées de son corps lui permettent de ramener les autres malades en perdition fantomatique, mais aussi d’assister à la détresse que ses parents tentent de lui cacher quant à son état de santé. Il forme par la suite un duo avec un policier immobilisé en devenant ses yeux dans la ville aux prises avec le dangereux psychopathe : il n’est qu’un regard, incapable d’interagir. C’est là la beauté mélancolique du film que de laisser à l’enfant sa fragilité en dépit de son habilité magique : narrateur face à l’adulte, il constate et guide, il partage son imaginaire pour empêcher la propagation d’un virus informatique qui détruirait la ville. Le parallèle avec son combat contre la maladie est certes évident, mais néanmoins subtil pour le jeune public auquel il s’adresse. Léo s’évade de son lit, convoque la figure du policier et de l’adulte pour mobiliser les forces vives à même d’éradiquer le mal. Sans pathos excessif, avec pudeur et grâce à une animation singulière, Phantom Boy touche au but : c’est par la délicatesse d’une présence immatérielle qu’on circonscrit les plus grandes douleurs.
Tiens, par la paire d'auteur d'Une vie de chat... c’était déjà pas mal du tout.
Oui, ça m'a donné envie de le voir, les enfants avaient beaucoup aimé.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Ven 6 Nov 2015 - 10:24
Hystérie of romance.
Maiwen est depuis quelques films en mesure d’affirmer une tonalité et un traitement suffisamment singulier pour qu’on la reconnaisse. Avec Mon Roi, elle se déleste de l’originalité d’un scénario (Le Bal des actrices) ou d’un univers singulier (Polisse) pour aborder de front le vrai du cœur humain, à travers la décennie passionnelle d’un couple. Contrairement à ce que la bande annonce laissait entendre, il ne sera point question d’événement hors norme, de crime ou de situation exceptionnelle. Seule la vaste et complexe question du couple importe. Dans le sillage des ainés comme Pialat et son indépassable partition cynique dans Nous ne vieillirons pas ensemble, ou du plus proche grand frère Kechiche et sa Vie d’Adèle, Maiwenn traque les instants de vérités qui font que l’amour surgit, se dilate, se rompt, se renoue et se déchire. Les modèles sont, il est vrai, particulièrement encombrants, et il est aisé de fustiger les écueils qui peuvent émailler le projet d’ensemble. Commençons par reconnaitre à quel point la réalisatrice parvient à obtenir de ses comédiens l’authenticité qu’elle convoite. La restitution des débuts du couple voit ainsi le magnétique Vincent Cassel tout ravager sur son passage avant d’offrir une part plus sombre et incontrôlée de son personnage, tandis que l’enthousiasme et la confiance croissants d’Emmanuelle Bercot (prix d’interprétation à Cannes) achèvent de rendre crédible ce couple enthousiaste. Les rires, la danse avec la vie et les élans anarcho-poétiques sont d’une authenticité rare, et en écho avec un présent de narration qui, s’il est répétitif, est tout aussi attachant : dans un centre de rééducation, la femme répare ses blessures physiques autant qu’elle panse ses souvenirs douloureux, entourée d’une bande de jeunes qu’elle n’aurait jamais fréquenté autrement, et qui parviennent à redonner le goût à la vie. Mais Maiwen, on le sait, ne fait pas dans la dentelle : il lui faut des vitres brisées, des situations extrêmes pour trouver écho à ses propres démons. C’est là que le bât blesse. A trop vouloir fouiller dans la crise et la déchirure, la frontière avec le grotesque devient ténue. La scène de crise d’hystérie de Toni face aux amis de son mari a beau vouloir lorgner devant les plus grands moments de Cassavettes dans Faces ou Une femme sous influence, l’embarras est davantage du partagé par les spectateurs que les personnages. C’est cependant une brèche un peu trop facile pour descendre le film en flèche. Il est ainsi surprenant de constater qu’en dépit de sa longueur et de la répétition de ses motifs (rupture, retrouvailles, déchirures…), on ne s’ennuie pas, et la gestion des ellipses pour appréhender cette décennie est tout à fait convaincante. Tout est là : Maiwenn n’est certes pas encore dans la cour des grands, et à l’image de Dolan et des attachantes crises de Mommy, peut irriter autant qu’émouvoir. Mais il reste cette vérité brute que tant d’autre ne parviennent à restituer : de ce fait, ses maladresses semblent le prix de son authenticité.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 6:47
La pomme de terre vue du ciel.
Lorsqu’un cinéaste s’attaque à l’éternel silence des espaces infinis qui effrayait déjà Pascal, il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick. On en a déjà beaucoup parlé fin 2013 avec Gravity, puis fin 2014 Interstellar. Fin 2015, donc, Ridley Scott embarque pour l’espace, et l’on se surprend agréablement à ne pas mentionner l’encombrant ancêtre, malgré les belles stations spatiales, les intérieurs laiteux aux courbes harmonieuses et le ballet des corps en apesanteur. Pour une raison essentielle et qui fait toute la réussite de ce film : il ne s’agit pas ici de faire du décor le motif à un questionnement dans lequel on révélerait ses limites. Point de symbolique pesante (la naissance fœtale et la mort dans Gravity), point de philosophie gloubi-boulgesque (le destin, le temps et l’amour dans Interstellar), mais un film d’aventure, une réjouissante robinsonnade qui aurait mis de côté la complexe philosophie du solipsisme qu’avait par exemple ajoutée Tournier dans ses Limbes du Pacifique.
Et Scott d’ajouter, avec son équipe, ces ingrédients d’une simplicité si confondante qu’on en avait oublié l’existence : des choses en MOINS. Pas de méchant, pas d’histoire d’amour, presque pas de famille. De ce point de vue, la bande-annonce était sacrément trompeuse, et pour une fois dans le mauvais sens : le montage (à 2’31 dans cette version) laisse entendre une famille restée sur terre, alors qu’idée de génie, il n’en est rien. Notre botaniste peut se consacrer à l’essentiel, survivre, et comme c’est un américain et qu’on a pour une fois bien envie de le suivre, avec la décontraction et le sens de la classe inhérente à sa race lorsqu’elle est brossée par Hollywood.
Cet humour, voire ce dilettantisme, pourraient être des motifs d’irritation. Il n’en est justement rien. Parce que cette forme est au service d’un fond bien excitant : la suite de résolution de problèmes, sous le coup d’une vulgarisation scientifique à l’enthousiasme tout à fait communicatif. Bien entendu, les traits sont gros et les solutions improbables par moments, mais le plaisir l’emporte. Le montage parallèle entre la Terre et Mars pour montrer la collectivité au service de solutions, voire ce vœu utopiste de voir se joindre la Chine à ce sauvetage interplanétaire contribuent à une atmosphère presque inédite à laquelle on a envie d’adhérer.
Car cet élan motivé se retranscrit aussi dans la mise en scène, qui parvient à doser savamment les trois pôles Mars/Terre/Espace, nous rassasiant d’images en apesanteur pour mieux nous confronter à une atmosphère à suivre. Et si le primat est accordé à un Matt Damon esseulé, le recours aux caméras embarquées et au journal de bord dynamisent de façon pédagogique et ludique son parcours.
Certes, nous aurons droit à des américains qui applaudissent dans leur salle de contrôle tous les quarts d’heure, d’un sens de la solidarité et de l’économie qui laissent dubitatifs, et d’un recours à une bande son disco qui laisse penser qu’on voudrait retrouver la formule gagnante des Gardiens de la Galaxie.
Mais on fera avec. Seul sur Mars est une excellente surprise, le clin d’œil d’un vieux briscard qui s’est plus d’une fois embourbé dans ses propres grosses machines, et retrouve avec malice la fibre qui manque tant au cinéma des dernières décennies : faire de nous des enfants.
Merci de m'avoir motivé à le voir
Esther Yul le grincheux
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 6:50
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 6:57
Esther a écrit:
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Précise.
Esther Yul le grincheux
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 7:12
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Précise.
En quoi le film de Kubrick possède une gravité insoutenable? Empreint à une certaine gravité, oui, mais insoutenable.... Sinon, très chouette ta chronique.
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 7:22
Esther a écrit:
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Précise.
En quoi le film de Kubrick possède une gravité insoutenable? Empreint à une certaine gravité, oui, mais insoutenable.... Sinon, très chouette ta chronique.
Insoutenable pour ses héritiers qui se cassent les dents par la comparaison à cet indépassable modèle. (Sinon merci )
Esther Yul le grincheux
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 7:34
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Précise.
En quoi le film de Kubrick possède une gravité insoutenable? Empreint à une certaine gravité, oui, mais insoutenable.... Sinon, très chouette ta chronique.
Insoutenable pour ses héritiers qui se cassent les dents par la comparaison à cet indépassable modèle. (Sinon merci )
Ah... ouf!
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 8 Nov 2015 - 7:56
Esther a écrit:
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
Nulladies a écrit:
Esther a écrit:
"il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick" Je dis Halte!
Précise.
En quoi le film de Kubrick possède une gravité insoutenable? Empreint à une certaine gravité, oui, mais insoutenable.... Sinon, très chouette ta chronique.
Insoutenable pour ses héritiers qui se cassent les dents par la comparaison à cet indépassable modèle. (Sinon merci )
Ah... ouf!
Nous voilà d'accord.
Invité Invité
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 9 Nov 2015 - 2:49
C'est surtout Gravity qui tombait sous le poids de cette gravité pour moi. On va pas revenir dessus mais bon... une ambition a la hauteur des clichés et du spectaculaire au rabais qui t'en touche une sans faire bouger l'autre faute de personnages crédibles. Interstellar a pourtant beaucoup plus en commun avec la quête existentielle de 2001 mais l’émotion, la tragédie, le souffle emportent tout.
Esther Yul le grincheux
Nombre de messages : 6224 Date d'inscription : 31/10/2013 Age : 50 Humeur : Taquine
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 9 Nov 2015 - 5:42
RabbitIYH a écrit:
C'est surtout Gravity qui tombait sous le poids de cette gravité pour moi. On va pas revenir dessus mais bon... une ambition a la hauteur des clichés et du spectaculaire au rabais qui t'en touche une sans faire bouger l'autre faute de personnages crédibles. Interstellar a pourtant beaucoup plus en commun avec la quête existentielle de 2001 mais l’émotion, la tragédie, le souffle emportent tout.
C'est pas toi qui affirmait que le Terminator n° je ne sais plus combien n'était que du divertissement et rien de plus sans aucune autre prétention? Que c'était pas si grave si le réalisateur prenait le spectateur pour un neuneu, voire l'affirmait en interview? Gravity n'était que du divertissement, et rien d'autre. Et dieu sait si j'ai du mal avec Bollock, mais j'ai trouvé ce film formidable, si tu pars du principe qu'il n'apporte aucune forme de réflexion. Bon, bref...
Zwaffle un mont de verres
Nombre de messages : 1724 Date d'inscription : 08/01/2014 Age : 47
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Lun 9 Nov 2015 - 11:44
Esther a écrit:
RabbitIYH a écrit:
C'est surtout Gravity qui tombait sous le poids de cette gravité pour moi. On va pas revenir dessus mais bon... une ambition a la hauteur des clichés et du spectaculaire au rabais qui t'en touche une sans faire bouger l'autre faute de personnages crédibles. Interstellar a pourtant beaucoup plus en commun avec la quête existentielle de 2001 mais l’émotion, la tragédie, le souffle emportent tout.
C'est pas toi qui affirmait que le Terminator n° je ne sais plus combien n'était que du divertissement et rien de plus sans aucune autre prétention? Que c'était pas si grave si le réalisateur prenait le spectateur pour un neuneu, voire l'affirmait en interview? Gravity n'était que du divertissement, et rien d'autre. Et dieu sait si j'ai du mal avec Bollock, mais j'ai trouvé ce film formidable, si tu pars du principe qu'il n'apporte aucune forme de réflexion. Bon, bref...
en cela "Gravity" était plus proche de "Seul sur Mars" que "Interstellar": pas de métaphysique, juste du survival pur (et le divertissement y afférent)
Invité Invité
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mar 10 Nov 2015 - 8:48
Zwaffle a écrit:
Esther a écrit:
RabbitIYH a écrit:
C'est surtout Gravity qui tombait sous le poids de cette gravité pour moi. On va pas revenir dessus mais bon... une ambition a la hauteur des clichés et du spectaculaire au rabais qui t'en touche une sans faire bouger l'autre faute de personnages crédibles. Interstellar a pourtant beaucoup plus en commun avec la quête existentielle de 2001 mais l’émotion, la tragédie, le souffle emportent tout.
C'est pas toi qui affirmait que le Terminator n° je ne sais plus combien n'était que du divertissement et rien de plus sans aucune autre prétention? Que c'était pas si grave si le réalisateur prenait le spectateur pour un neuneu, voire l'affirmait en interview? Gravity n'était que du divertissement, et rien d'autre. Et dieu sait si j'ai du mal avec Bollock, mais j'ai trouvé ce film formidable, si tu pars du principe qu'il n'apporte aucune forme de réflexion. Bon, bref...
en cela "Gravity" était plus proche de "Seul sur Mars" que "Interstellar": pas de métaphysique, juste du survival pur (et le divertissement y afférent)
Justement je suis pas d’accord avec vous, Gravity déjà, pour moi, est assez chiant, pas un divertissement très efficace. Et il cherche sans arrêt la métaphore visuelle, sur la maternité, le deuil, la rédemption, etc, genre Sandra Bullock qui se met en position fœtale, et la "naissance" finale quand elle arrive sur Terre... mais de façon un peu lourde, pour se donner des airs profonds sans jamais vraiment l’être. Donc oui je préfère autant un gros divertissement au scénar haletant même si au fond ça n'apporte rien d'autre que 2h de détente en mode débranché du cerveau.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mer 11 Nov 2015 - 7:51
Poupées de cire, purée sans fond.
Le nombre de reproches qui se présentent face à Spectre est à peu près équivalent à l’armée massée devant Minas Tirith : on ne sait plus où donner de la tête.
Dès lors, raisonnons. Nous sommes face à une mythologie qui comporte, depuis bien des décennies, un cahier des charges incontournables. On baise la veuve, la vraie girl résiste au moins une fois avant de laisser ses hormones parler suite à une baston mettant à sac un train, l’homme de main du méchant fait trois mètres et semble avoir des muscles en titane, bases secrètes dans des cratères, tout ça.
De la mythologie, Spectre en tellement gangréné qu’il semble être une pièce de musée. Et c’est bien là le problème. Skyfall prenait des directions nouvelles sans pour autant trahir la franchise, que ce nouvel opus semble complètement nier. L’humour est pathétique, les dialogues consternants, et, surtout, l’intrigue d’une linéarité confondante. Nous jouer la carte des agents 00 sur la touche parce qu’aujourd’hui, on a des drones et une société de surveillance, voilà qui estomaque par son originalité.
L’essentiel est ailleurs, me dira-t-on. Cherchons. Les scènes d’action ? L’ouverture est effectivement prometteuse : superbe plan séquence, percussions martiales, le parcours de Bond de la rue aux toits a tout d’une érection revigorante. Las, à partir du moment où il monte dans l’hélicoptère, tout s’effondre : le grand n’importe quoi sclérose à la fois le montage et les répétitions, la scène n’a aucun rythme, aucun enjeu véritable. Certes, Mendes varie les décors et les couleurs, de la neige au sable en passant par les nuits romaines ou londoniennes. La poursuite en voiture n’est pas dénuée de fluidité, mais qu’on se permette d’avoir des réserves sur le concept de l’avion traineau, bourrinage gratuit et sans aucune grâce. Et passons sur la scène de torture, aussi éculée qu’inutile, ou du double compte à rebours final.
La première bande-annonce, faisant fi de tous ces passages obligés, insistait, dans la lignée de Skyfall, sur la sombre quête de l’agent dans les arcanes d’une société obscure et d’une filiation mystérieuse. C’est là, censément, le cœur de Spectre. Et c’est là son point le plus faible. Quelle insulte à Christoph Waltz que le rôle qu’on lui offre ! Quelle banalité que sa quête, quelle paresse que le lien fait entre la destinée des services secrets britanniques et ce conquérant du monde moderne de l’information… Et, puis, tout de même, au rang des mobiles les plus grotesques de l’histoire, Spectre monte sur le podium avec des échasses :
Spoiler :
Spoiler:
Je vais conquérir le monde, saigner femmes et enfants, développer esclavage, prostitution attentats, orwellisation, parce que Papa faisait du ski avec James.
Interminable, inexpressif, sans chair, il ne reste à ce Spectre qu’une vague classe qui vous permettra d’avoir du vodka-martini au shaker et des voitures très chères, des costumes impeccables et une montre explosive. Et à ceux qui prétendent que cette mythologie est à prendre ou à laisser, qu’on se remémore la belle audace du précédent opus, ou, au hasard, la façon dont une autre franchise parvenait à jouer de ses codes pour un véritable plaisir : Mission Impossible 5.
Azbinebrozer personne âgée
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mer 11 Nov 2015 - 14:08
Nulladies a écrit:
La pomme de terre vue du ciel.
Lorsqu’un cinéaste s’attaque à l’éternel silence des espaces infinis qui effrayait déjà Pascal, il tombe sous le poids d’une gravité insoutenable, celle du 2001 de Kubrick. On en a déjà beaucoup parlé fin 2013 avec Gravity, puis fin 2014 Interstellar. Fin 2015, donc, Ridley Scott embarque pour l’espace, et l’on se surprend agréablement à ne pas mentionner l’encombrant ancêtre, malgré les belles stations spatiales, les intérieurs laiteux aux courbes harmonieuses et le ballet des corps en apesanteur. Pour une raison essentielle et qui fait toute la réussite de ce film : il ne s’agit pas ici de faire du décor le motif à un questionnement dans lequel on révélerait ses limites. Point de symbolique pesante (la naissance fœtale et la mort dans Gravity), point de philosophie gloubi-boulgesque (le destin, le temps et l’amour dans Interstellar), mais un film d’aventure, une réjouissante robinsonnade qui aurait mis de côté la complexe philosophie du solipsisme qu’avait par exemple ajoutée Tournier dans ses Limbes du Pacifique.
Et Scott d’ajouter, avec son équipe, ces ingrédients d’une simplicité si confondante qu’on en avait oublié l’existence : des choses en MOINS. Pas de méchant, pas d’histoire d’amour, presque pas de famille. De ce point de vue, la bande-annonce était sacrément trompeuse, et pour une fois dans le mauvais sens : le montage (à 2’31 dans cette version) laisse entendre une famille restée sur terre, alors qu’idée de génie, il n’en est rien. Notre botaniste peut se consacrer à l’essentiel, survivre, et comme c’est un américain et qu’on a pour une fois bien envie de le suivre, avec la décontraction et le sens de la classe inhérente à sa race lorsqu’elle est brossée par Hollywood.
Cet humour, voire ce dilettantisme, pourraient être des motifs d’irritation. Il n’en est justement rien. Parce que cette forme est au service d’un fond bien excitant : la suite de résolution de problèmes, sous le coup d’une vulgarisation scientifique à l’enthousiasme tout à fait communicatif. Bien entendu, les traits sont gros et les solutions improbables par moments, mais le plaisir l’emporte. Le montage parallèle entre la Terre et Mars pour montrer la collectivité au service de solutions, voire ce vœu utopiste de voir se joindre la Chine à ce sauvetage interplanétaire contribuent à une atmosphère presque inédite à laquelle on a envie d’adhérer.
Car cet élan motivé se retranscrit aussi dans la mise en scène, qui parvient à doser savamment les trois pôles Mars/Terre/Espace, nous rassasiant d’images en apesanteur pour mieux nous confronter à une atmosphère à suivre. Et si le primat est accordé à un Matt Damon esseulé, le recours aux caméras embarquées et au journal de bord dynamisent de façon pédagogique et ludique son parcours.
Certes, nous aurons droit à des américains qui applaudissent dans leur salle de contrôle tous les quarts d’heure, d’un sens de la solidarité et de l’économie qui laissent dubitatifs, et d’un recours à une bande son disco qui laisse penser qu’on voudrait retrouver la formule gagnante des Gardiens de la Galaxie.
Mais on fera avec. Seul sur Mars est une excellente surprise, le clin d’œil d’un vieux briscard qui s’est plus d’une fois embourbé dans ses propres grosses machines, et retrouve avec malice la fibre qui manque tant au cinéma des dernières décennies : faire de nous des enfants.
Merci de m'avoir motivé à le voir
Bravo encore Nulla pour cette chronique. « des choses en MOINS », « Pas de méchant, pas d’histoire d’amour, presque pas de famille. » Oui bien vu ! Ca permet de rester tendu autour de la solitude et de renvoyer la dynamique qui unit à autre chose que la cellule familiale. J'y reviens.
« point de philosophie gloubi-boulgesque » pas de métaphysique dit aussi Zwaff. Oui il y avait Prometheus qui se risquait sur ce terrain-là mais pour le démolir ! Mais il y avait par contre un point de vue philosophique. Idem, j'y reviens. Cette philosophie semble effectivement tourner autour de ce que tu pointes : « survivre ». « Une atmosphère presque inédite à laquelle on a envie d’adhérer ». Content que ça t'ai plu !
Blablabl'Az...:
Oui dans une période très pessimiste, ce film surprend comme le retour, partiel, aux mythologies et espérances d'un âge d'or ?
Ridley Scott a toujours fuit les grandes idées, la philosophie, jusqu'à en faire sa philosophie. Rien de bien nouveau, il s'inscrivait dans la lignée d'une philosophie anglo-saxonne libérale, pessimiste sur la nature humaine, se défiant de fait de toute entreprise politique, se réfugiant alors dans un individualisme pessimiste, privilégiant l'empirisme à toute approche métaphysique. Avec Ridley j'ai toujours eu l'impression que tout idéal collectif, toute action collective ne soit qu'un leurre, un piège... Quel film de lui pouvait infirmer ce tableau ?
Avec Prometheus, Scott avait le mérite de boucler son parcours, revenir sur Alien et pour la première fois tenter de prendre au sérieux une question métaphysique : d'où venons-nous ? Point de vue tardif et surprenant. Celui d'un auteur jamais réconcilié avec son pessimisme, le silence de dieu, au point de si peu faire parler, aborde cette fois la question de façon explicite ! Le film s'achève dans un pessimisme intégral, finalement prévisible. Mais on pouvait être ému de voir Ridley avoir osé la question. Puis surprise, le Scott abordait avec Exodus un sujet pouvant porter sur des questions religieuses et métaphysiques majeures. Ok chez Hollywood. Pas vu, j'en parle pas.
« Seul sur mars » étonne donc. On a bien une entrée et un thème qui reste individualiste : comment survivre seul si loin des autres ? Mais la réponse collective, politique apportée surprend chez Scott. A-t-il vraiment eu le choix de faire l'adaptation de ce roman ? Le traitement de Scott égratigne le collectif et le politique dans la première partie. Mais surprise plus le film avance, plus le collectif trouve de crédit. Bien sûr la philosophie qui anime le tout est toujours celle de la lutte individuelle pour la survie. Il y a une conjonction entre les thèmes habituels de Scott et celui nouveau d'un salut politique mondial même... En outre cette lutte pour la survie anime une ode à la science, à la technologie, à la curiosité humaine et à l'échange collectif ! Tous apportant leur pierre. Le film offre un suspens mais dans un climat du coup pas si anxiogène que ceux actuels. Chaque tentative est une façon d'essayer de se surpasser, déjà quelque part une petite victoire même en cas d'échec ! « Faire de nous des enfants », oui avec cette éternelle appétence.
On est donc surpris et un peu heureux de l'abandon du point de vue pessimiste de Scott, reprenant probablement celui du roman. Optimisme serait un grand mot. Un autre peut-être convient, peu courant : « méliorisme » : nous sommes condamnés à toujours améliorer. Ridley Scott nous renvoie partiellement à la philosophie des Lumières. Quelque chose a changé toutefois. La science ne rêve plus ici de la recherche du toujours plus, toujours plus loin. Sur Mars, elle éprouve ses limites. Comme dans tant d'autres films actuels, la conquête collective est encore en doute. La science a ses casseroles, saturation du milieu, objet de pouvoir des peuples sur les autres... Après l'échec collectif, la philosophie qui anime le tout est toujours celle de la lutte individuelle pour la survie, à laquelle répond cette fois la solidarité collective. Tel pourrait être l'enjeu du regain d'intérêt pour la curiosité scientifique des jeunes générations. Jusqu'à ce que bientôt nous envoyons des fusées pour sauver des hommes... sur notre planète !...
Nulladies Cinéman
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Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 22 Nov 2015 - 7:30
The milk oh human madness.
Face à un monument littéraire, plusieurs choix s’offre à l’adaptateur : l’audace et la liberté, garante d’une affirmation singulière s’inscrivant sur les traces du glorieux ancêtre, à la manière de Kurosawa et son splendide Château de l’araignée ; le respect et l’hommage, serment d’allégeance visant à illustrer le matériau originel. Justin Kurzel s’inscrirait plutôt dans cette deuxième catégorie. De Macbeth, il garde presque tout, de la lande Ecossaise à la langue de Shakespeare, de l’époque et des costumes. De ce point de vue, le film est une adaptation comme il a pu y en avoir des dizaines, mais c’est finalement la plus grande prise de risque possible. Débarrassé des oripeaux d’une libre relecture, le cinéaste se confronte au texte et livre une copie presque impeccable. On peut néanmoins craindre dans un premier temps que le fond ne soit desservi par une forme assez outrancier. Les incursions sur les terres de l’épique font l’objet d’une mise en scène un peu discutable, à grands renforts de ralentis, de brume colorée et de fracas des armes qui peinent à convaincre, instaurant un équilibre instable avec la sobriété à venir. Car c’est bien là que se joue l’essentiel du film : dans cette dépendance à sa dramaturgie et à sa dimension éminemment littéraire, le cinéaste contraint les comédiens à des monologues, à une diction travaillée et une prééminence du verbal qui influe considérablement sur la mise en scène ou sur leur jeu. Et dans ce choix radical réside toute la réussite du projet. Fassbender et Cotillard mettent toute leur énergie au service d’une folie rentrée, chuchotant presque la totalité de leur texte au lieu de le déclamer, autre audace permise par le cinéma, et en adéquation avec une musique lancinante et anxiogène. La photographie, superbe, permet comme rarement de donner à voir la froideur des châteaux, le règne d’une pierre glaciale dans laquelle les époux diluent leurs derniers soubresauts d’humanité. C’est bien d’une alchimie qu’il s’agit : face à la puissance de la langue (qui nous fait retrouver avec émotion toutes ces expression passées à la postérité, comme, entre autre, « Sound & Fury » ou The Milk of Human Kindness »), la dévotion des comédiens, l’ample désolation des paysages et la propagation du mal dans la mise en scène. En guise d’apogée, la scène de banquet occasionne un découpage fantastique, une alternance entre les individus et la cour, le protocole et la folie, les ordres royaux et le désordre intime gérés d’une main de maître. Si l’épique initial revient pour le combat final, il semble davantage justifié dans la mesure où c’est désormais une victoire presque surnaturelle du tragique qui occasionne cette venue, par l’incendie, de la forêt au château dans une brume incandescente. Kurzel conserve nettement l’ambition de faire un film de cinéma, et ne se prive pas de poursuites en forêt, d’une violence très graphique et d’un duel final qui a tendance à tirer un peu en longueur. Il n’en demeure pas moins que le pari est gagné : la puissance shakespearienne exsude de toute part, dans ce ballet noir de violence, de pouvoir et d’aliénation ; et cette exploration de la puissance à laquelle les hommes accèdent lorsqu’ils laissent l’hybris s’emparer d’eux est à la mesure de l’universalité de la pièce.