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| Voyage en salle obscure... | |
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+22lalou Nulladies bro' Esther davcom Azbinebrozer le mutant Powderfinger Coda guil Arcadien Tony's Theme Gengis myrrhman Bilboquet Rorschach Aria beachboy shoplifter Goupi Tonkin langue_fendue jeffard 26 participants | |
Auteur | Message |
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Goupi Tonkin la séquence du spectateur
Nombre de messages : 914 Date d'inscription : 21/11/2008
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 4 Oct 2014 - 10:50 | |
| - Citation :
- A la sortie, la mienne me dit que sa mère n'avait pas le droit d'aller travailler en pantalon dans les années 60, qu'elle était un peu obligée de porter les mini-jupes de l'époque ! Et on devrait remercier Saint Laurent ? Wink
Résultat aujourd’hui les hommes sont les esclaves : essayer d'arriver en bermuda au travail sans prendre une remarque de la patronne qui a le droit de vous aguicher ou pas avec ses jambes à l'air ! Excellent ! | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 7:39 | |
| Les rentiers de la perdition. La corruption morale, politique et individuelle occupe depuis un certain temps le cinéma de Zviaguintsev. Dans Elena, le drame familial reflétait les turpitudes d’un pays à la dérive, ayant compris que la survie passait par le crime. « Tout le monde est coupable », affirme un des personnages de Leviathan : du maire au pope, de l’avocat amant à l’épouse infidèle, le tout sous le regard d’un protagoniste instable et impulsif. Le passé est une ère révolue, dont les carcasses jonchent la marée basse de la mer de Barents, dans ces reculades d’une Russie qui n’épargne donc personne. Coques pourries, squelette de baleine sont les vestiges d’un âge qui ne fut même pas d’or. Le présent est un alignement de façades décaties, des poissons qu’on vide à la chaine et des barbecues sur la plage où l’on se divertit en tirant sur des bouteilles et les portraits des anciens dirigeants, dans une atmosphère aussi grotesque qu’inquiétante sur ses dérapages potentiels. Le futur est dans le démantèlement. Car un portrait officiel subsiste, celui de Poutine, qui trône dans les salons cossus des antres officiels de la corruption. Car dans les voitures, cohabitent les pin-ups et les icônes. La religion, le pouvoir et le divertissement, surtout celui de la vodka, pour oublier à quel point ils oppriment. Le futur est la victoire du fric, qui ne cesse de se répandre et de dévorer. L’un des pièges de Leviathan est sa beauté. Les décors naturels, la lumière grise d’un pays qui semble constamment entre chien et loup, la mer furieuse et les brumes des plages boueuses, tout est splendide. La lenteur contemplative du réalisateur n’est jamais hors de propos, et certains de ses plans-séquences ont la même force que dans Elena, de même que son découpage, son sens du cadre ou les tableaux qu’il parvient à construire. Difficile d’oublier le plan de l’affiche, celle de l’enfant face au squelette, ou celui d’une pelleteuse dévorant la façade d’une maison. La musique de Philip Glass, parcimonieuse, permet elle aussi cette mesure juste dans le pathos. Affirmer qu’Andreï Zviaguintsev est un grand réalisateur n’a plus rien d’étonnant. La maitrise de ses précédents films est toujours à l’œuvre, et impressionne au point, peut-être, de nous inhiber quant aux réserves qu’on pourrait avoir sur cet opus. Dans le regard presque entomologiste qu’il porte sur l’ensemble de ses personnages, le cinéaste empêche toute empathie. Au pays des choses dernières, on sait d’emblée que tout est perdu, et si les individus s’anesthésient dans la vodka (et Dieu sait qu’on nous le fait comprendre), tel peut aussi être notre sort face à tant de noirceur : non pas un rejet pour se préserver, mais un tableau si désespéré qu’il pourrait conduire à l’indifférence pour ce troupeau veule qui s’entredévore dans un renoncement éthylique. Ce sentiment est renforcé par un scénario qui n’est pas aussi brillant que ce que le palmarès de Cannes a voulu nous le faire croire (choix vraiment étrange, qui ressemble à un lot de consolation. Il semblait bien plus légitime de lui octroyer le prix de la mise en scène). Après un début assez relâché, l’intrigue qui se met en place prend plusieurs directions dont certaines fonctionnent moins bien que d’autres, comme la destinée de l’avocat par exemple. On pourrait certes considérer comme volontaire ces pistes qui n’adviennent pas et cette destruction généralisée : elle n’en contribue pas moins à distancier le spectateur du spectacle glacé auquel il assiste. Splendide, certes, mais d’une radicalité qui met de côté l’humanité nécessaire pour vibrer aux côtés de ce pays qui sombre. | |
| | | Otto Bahnkaltenschnitzel génération grenat (dîne)
Nombre de messages : 1940 Date d'inscription : 27/08/2014
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 9:33 | |
| Je ne lis pas celle là. J'attends d'y aller. | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 10:08 | |
| T'as raison, je ferais pareil. | |
| | | Esther Yul le grincheux
Nombre de messages : 6224 Date d'inscription : 31/10/2013 Age : 50 Humeur : Taquine
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 11:37 | |
| - Otto Bahnkaltenschnitzel a écrit:
- Je ne lis pas celle là.
J'attends d'y aller. Donc, faut pas te dire que c'est le jardinier qui a fait le coup... | |
| | | Goupi Tonkin la séquence du spectateur
Nombre de messages : 914 Date d'inscription : 21/11/2008
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 12:00 | |
| - Esther a écrit:
- Otto Bahnkaltenschnitzel a écrit:
- Je ne lis pas celle là.
J'attends d'y aller. Donc, faut pas te dire que c'est le jardinier qui a fait le coup... N'importe quoi ! C'est le colonel Moutarde, avec le chandelier... | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 5 Oct 2014 - 12:05 | |
| En fait Leviathan c'est un peu le Godzilla russe, les faibles s'allient pour résister au monstre mais en fait tout ça c'est les lois de la nature. (je déconne hein, j'ai vu que la bande-annonce ) |
| | | moonriver Comme un Lego
Nombre de messages : 4790 Date d'inscription : 02/01/2014 Age : 54 Localisation : IDF
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Mar 7 Oct 2014 - 17:14 | |
| - Azbinebrozer a écrit:
« Saint Laurent » de Bonello. J'avais pas vu le premier biopic « Yves saint Laurent » plus classique sur une période plus ancienne du couturier. J'avais bien aimé « L'appollonide » de Bonello, univers clos qui se poursuit un peu ici. Toujours une approche assez sensorielle, Bonello signe d'ailleurs une partie de la BO, pour ponctuer les années 70 synthétiques. La mise en scène propose des choses mais je me suis bien ennuyé : 2 h 40...
D'une part le scénario apporte parcimonieusement du nouveau, d'autre part j'ai un gros, gros problème avec la vie des artistes : j'en ai strictement rien à carrer ! Le film Liberace m'avait au moins fait marrer. Saint Laurent a libéré la femme, dit très, très rapidement le film. A la sortie, la mienne me dit que sa mère n'avait pas le droit d'aller travailler en pantalon dans les années 60, qu'elle était un peu obligée de porter les mini-jupes de l'époque ! Et on devrait remercier Saint Laurent ? Résultat aujourd’hui les hommes sont les esclaves : essayer d'arriver en bermuda au travail sans prendre une remarque de la patronne qui a le droit de vous aguicher ou pas avec ses jambes à l'air ! Vu hier. J'ai vu il y a quelques mois la version de Jalil Lespert, un peu par hasard. Ennui! La version Bonello est 100 fois supérieure. Ce n'est pas un Chef d'œuvre mais le film est plaisant à bien des égards: les acteurs (mention spéciale à Louis Garrel), la façon de filmer l'atelier de couture est splendide, les personnages sont fouillés mais les points importants ne sont pas non plus surlignés (l'un des défauts du film de Lesper), les couleurs, le cadre. Le film dure 2h30, la fin s'étire un peu en longueur, il y a 15/20 mn de trop. Pour moi, ça vaut le coup. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Ven 10 Oct 2014 - 14:10 | |
| Personne n'a été voir Gone Girl, le dernier Fincher ? Très agréablement surpris, alors que j'avais apprécié, sans être aussi enthousiasmé que ça, Millenium. - Spoiler:
On y retrouve l'essentiel des thèmes chers à Fincher : le crime, la mort, la folie des hommes, la corruptibilité de l'homme (ici non pas pour des motifs financiers [quoi que, la scène où Amy se fait retirer le paquet de pognon par le couple rencontré est assez forte en ce sens] mais surtout dans le paraître). On y retrouve aussi un Fincher qui s'amuse avec le spectateur, le place dans un jeu de piste (explicite au point que les personnages eux-mêmes s'adonnent à ce jeu de piste avec les indices délivrés par Amy à Nick), ce qui traduit à la fois à mon sens l'envie du réalisateur de "jouer" avec le spectateur que la description d'une sensation d'immédiateté dans nos sociétés actuelles, dans lesquelles il faut peu de choses pour que la réalité d'un jour soit l'exacte opposée de celle du lendemain (on le voit particulièrement lorsque l'interview de Nick à la télévision suffit à lui remettre l'opinion dans la poche. Et d'ailleurs, ça ne durera pas, preuve de la versatilité du public). Où les réalités du jour (on parle de la chaise électrique pour Nick) sont totalement remises en question suite au retour d'Amy, et on leur propose de vivre à nouveau ensemble sans même prendre de pincettes ou le temps de les accompagner dans cette réconciliation impossible qui l'aurait même été sans la part d'ombre évidente des deux personnages.
Satire de l'illusion d'éternité dans la relation humaine donc (le couple Amy-Nick ne tient pas, le respect des parents d'Amy pour Nick non plus), ce qui reste finalement, c'est le lien entre Nick et sa soeur jumelle (et encore c'est à nuancer), et aussi, la vie conjointe entre Amy et Nick, bien que dénuée de tout amour. Là encore, c'est une façade.
Plus inédit dans sa filmo, les questionnements autour du couple. Dans quel mesure joue-t-on un rôle face à l'être aimé (rien que le fait d'utiliser le terme "face" en dit long) ? L'amour est-il possible dès lors que les masques sont tombés ? Comment faire pour les faire tomber, ces masques, en cassant le moins de verre ?
Joliment orchestré, s'appuyant sur un formidable jeu d'acteurs, notamment celui de Ben Affleck, avec une histoire intrigante et remise en question en permanence. Un très très bon Fincher, je crois même qu'il complète mon podium de ses films derrière Se7en et Fight Club.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Ven 10 Oct 2014 - 16:21 | |
| - Spoiler:
Ah, et une dimension que j'ai appréciée aussi, que le film effleure, c'est l'impact de la starisation des enfants, avec Amy qui a un double illustré dans des bds ultra-populaires. Vit-elle alors par procuration ? Ou plus sûrement dans la jalousie (on le voit lorsqu'elle répète que "l'autre Amy a toujours eu une longueur d'avance" sur elle) de cet être qui n'existe pas si ce n'est en tant que reflet d'elle-même ? Ne peut-on pas voir aussi le fait que l'autre Amy ait toujours eu une longueur d'avance comme une forme de prophétie auto-réalisatrice traçant la route à suivre pour la vraie Amy et évoquant donc la pression (sans alternative possible) déterminée par ces parents finalement assez impassibles après la disparition de leur fille.
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| | | Otto Bahnkaltenschnitzel génération grenat (dîne)
Nombre de messages : 1940 Date d'inscription : 27/08/2014
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Ven 10 Oct 2014 - 16:56 | |
| - elnorton a écrit:
- Personne n'a été voir Gone Girl, le dernier Fincher ?
Très agréablement surpris, alors que j'avais apprécié, sans être aussi enthousiasmé que ça, Millenium.
- Spoiler:
On y retrouve l'essentiel des thèmes chers à Fincher : le crime, la mort, la folie des hommes, la corruptibilité de l'homme (ici non pas pour des motifs financiers [quoi que, la scène où Amy se fait retirer le paquet de pognon par le couple rencontré est assez forte en ce sens] mais surtout dans le paraître). On y retrouve aussi un Fincher qui s'amuse avec le spectateur, le place dans un jeu de piste (explicite au point que les personnages eux-mêmes s'adonnent à ce jeu de piste avec les indices délivrés par Amy à Nick), ce qui traduit à la fois à mon sens l'envie du réalisateur de "jouer" avec le spectateur que la description d'une sensation d'immédiateté dans nos sociétés actuelles, dans lesquelles il faut peu de choses pour que la réalité d'un jour soit l'exacte opposée de celle du lendemain (on le voit particulièrement lorsque l'interview de Nick à la télévision suffit à lui remettre l'opinion dans la poche. Et d'ailleurs, ça ne durera pas, preuve de la versatilité du public). Où les réalités du jour (on parle de la chaise électrique pour Nick) sont totalement remises en question suite au retour d'Amy, et on leur propose de vivre à nouveau ensemble sans même prendre de pincettes ou le temps de les accompagner dans cette réconciliation impossible qui l'aurait même été sans la part d'ombre évidente des deux personnages.
Satire de l'illusion d'éternité dans la relation humaine donc (le couple Amy-Nick ne tient pas, le respect des parents d'Amy pour Nick non plus), ce qui reste finalement, c'est le lien entre Nick et sa soeur jumelle (et encore c'est à nuancer), et aussi, la vie conjointe entre Amy et Nick, bien que dénuée de tout amour. Là encore, c'est une façade.
Plus inédit dans sa filmo, les questionnements autour du couple. Dans quel mesure joue-t-on un rôle face à l'être aimé (rien que le fait d'utiliser le terme "face" en dit long) ? L'amour est-il possible dès lors que les masques sont tombés ? Comment faire pour les faire tomber, ces masques, en cassant le moins de verre ?
Joliment orchestré, s'appuyant sur un formidable jeu d'acteurs, notamment celui de Ben Affleck, avec une histoire intrigante et remise en question en permanence. Un très très bon Fincher, je crois même qu'il complète mon podium de ses films derrière Se7en et Fight Club.
Je projette d'y aller après Leviathan. Avant Noel j'espère. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Ven 10 Oct 2014 - 19:59 | |
| Pareil c'est prévu. Et beaucoup aimé son Millenium sinon. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 7:51 | |
| Moi aussi, j'attends une séance en VO. Je ronge mon frein. Rarement vu une telle unanimité autour de moi... | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 7:51 | |
| Dans ce luxe qui s’effondre Le voyage dans le passé que propose le Guépard n’est pas vraiment nouveau. Le cinéma à compris, dès son plus jeune âge, à quel point il pouvait faire vibrer l’illusion et l’immersion dans des décors et des mœurs d’un autre âge. Si le film de Visconti se distingue, ce n’est pas seulement pour la magnificence de sa reconstitution : c’est aussi et surtout pour la mélancolie des adieux d’un homme à son ère. Fidèle au programme d’un cinéma à son apogée (qu’on prenne la mesure, tout de même, que sur un an sortent coup sur coup Lawrence d’Arabie, Le Guépard et Cléopâtre) le récit offre dans toute son ampleur la vision d’un monde, fondé sur des personnages archétypaux avec à sa tête le jeune aux dents longues, qui comprend que la fin de l’aristocratie suppose des concessions, et joue la carte de l’opportunisme : « Si tu veux que tout reste comme avant, il faut que tout change », déclare-t-il à son oncle le Prince. De la bourgeoisie mal éduquée en pleine ascension aux masques de cire d’une aristocratie qui refuse de voir son monde sombrer, Visconti propose un travelling latéral exhaustif, où s’enchainent de grandes unités esthétiques et séquentielles portées par des représentants de chaque classe. Au centre, focalisant tous les regards, un couple dont le glamour irradie littéralement l’espace, d’une jeunesse insolente et dévoratrice : Claudia Cardinale et Alain Delon, qui prennent en charge la danse et la beauté quand les autres se chargent des discours. Car autour d’eux, c’est bien la célébration du raffinement et l’ostentation qui, pense-t-on, pourra conjurer la marche de l’Histoire. De ce point de vue, Le Guépard est un film proprement éblouissant. Eclatant de couleurs, avec un sens du détail d’une précision effarante, chaque scène compose autant sur le plan d’ensemble que la finesse d’une dorure, le fil d’or dans un tapis ou le carmin d’un lourd rideau de moire. Les tableaux s’enchainent, vifs et brillants, de batailles en extérieurs, mais surtout sur les architectures de palais grandioses et démesurés. Les salons ne cessent de s’ouvrir sur de nouvelles pièces, les costumes se surexposent aux tentures dans un feu d’artifice presque figé, ou réglé au cordeau dans le froufrou d’un bal atemporel. Deux films viennent à l’esprit face à ce monument : Barry Lyndon, pour sa picturalité. L’Apollonide, pour l’épaisseur cossue de ses intérieurs. Ces comparaisons permettent de déterminer clairement la singularité du Guépard : scintillant là où la photographie de Kubrick travaille sur les quasi sfumato et rend laiteuse une mélancolie générale, ouvert et spacieux, officiel et guindé là où Bonello laisse le stupre exprimer ses phantasmes et ses limites. On pourrait, dès lors, ne voir dans cette reconstitution grandiose qu’une certaine idée du cinéma, panégyrique d’un spectacle total et clinquant. C’est sans compter sur le personnage de Don Fabrizio, Burt Lancaster crépusculaire, et véritable centre névralgique du film. Son vortex. Avant même que de s’intéresser à lui, Visconti multiplie les contrepoints : la satire de deux mondes, l’un inconscient de sa fin, l’autre grossier dans son irruption, et des images d’une beauté triste : l’alignement de pots de chambres dans une salle attenante au bal, où la visite d’un palais décati à la splendeur grise et aux tableaux retournés contre les murs. « Un palais dont on connait toutes les pièces n’est pas digne d’être habité », dit-on, sans comprendre à quel point cette pose dans la richesse symbolise l’ignorance nécessaire de celui qui veut survivre dans un monde qu’il ne comprend plus. Fondé sur la dilatation, des échanges, de cette fameuse scène du bal, le récit est construit sur le principe de la circonvolution : autour d’un homme qui meurt avec sa classe, et prend le parti d’en prendre conscience. Avec lui, on solde les comptes d’un monde qui pourrit dans la splendeur : le bal est dès lors un rassemblement de guenons en période de reproduction, qui ira perpétuer une race fatiguée dans la consanguinité la plus dégénérée. Don Fabrizio, à cheval entre deux mondes, à l’aise dans aucun, prend en marge de la fête la mesure de sa sortie de scène. Au matin, alors que l’orchestre s’échine encore pour les rares qui refusent de se coucher, le Prince quitte les intérieurs cossus pour la rue. Fusionnant avec les murs abimés qui l’entourent, englouti par l’obscurité, dans un silence assourdissant, il fusionne avec la ruine. Dans l’attente que l’archéologue Visconti vienne restaurer les ors de son flamboyant passé. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 8:05 | |
| - Nulladies a écrit:
- un monde qui pourrit dans la splendeur
Ça résume presque tout Visconti. A commencer par Senso, Les damnés et Ludwig, mes trois préférés. Le Guépard et Mort à Venise (et le mésestimé Violence et passion également porté par un Lancaster impérial en professeur malmené par l'irruption d'une micro-société décadente dans son petit monde nostalgique et figé) sont un petit cran en dessous pour moi, mais c'est dire si les trois autres sont fabuleux. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 8:09 | |
| Ils sont au programme dans les années à venir... Je garde un souvenir lointain mais enthousiaste de Rocco et ses frères...
(et désolé, je me suis trompé de topic) | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 10:41 | |
| Beau film mais un peu longuet et encore trop ancré dans le néo-réalisme pour vraiment m'emballer, même si les airs de tragédie antique et de décrépitude des liens familiaux sont déjà là. |
| | | Azbinebrozer personne âgée
Nombre de messages : 2751 Date d'inscription : 12/03/2013 Age : 63 Localisation : Teuteuil Humeur : mondaine
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 15:30 | |
| - Nulladies a écrit:
Dans ce luxe qui s’effondre
Le voyage dans le passé que propose le Guépard n’est pas vraiment nouveau. Le cinéma à compris, dès son plus jeune âge, à quel point il pouvait faire vibrer l’illusion et l’immersion dans des décors et des mœurs d’un autre âge. Si le film de Visconti se distingue, ce n’est pas seulement pour la magnificence de sa reconstitution : c’est aussi et surtout pour la mélancolie des adieux d’un homme à son ère. Fidèle au programme d’un cinéma à son apogée (qu’on prenne la mesure, tout de même, que sur un an sortent coup sur coup Lawrence d’Arabie, Le Guépard et Cléopâtre) le récit offre dans toute son ampleur la vision d’un monde, fondé sur des personnages archétypaux avec à sa tête le jeune aux dents longues, qui comprend que la fin de l’aristocratie suppose des concessions, et joue la carte de l’opportunisme : « Si tu veux que tout reste comme avant, il faut que tout change », déclare-t-il à son oncle le Prince. De la bourgeoisie mal éduquée en pleine ascension aux masques de cire d’une aristocratie qui refuse de voir son monde sombrer, Visconti propose un travelling latéral exhaustif, où s’enchainent de grandes unités esthétiques et séquentielles portées par des représentants de chaque classe. Au centre, focalisant tous les regards, un couple dont le glamour irradie littéralement l’espace, d’une jeunesse insolente et dévoratrice : Claudia Cardinale et Alain Delon, qui prennent en charge la danse et la beauté quand les autres se chargent des discours. Car autour d’eux, c’est bien la célébration du raffinement et l’ostentation qui, pense-t-on, pourra conjurer la marche de l’Histoire. De ce point de vue, Le Guépard est un film proprement éblouissant. Eclatant de couleurs, avec un sens du détail d’une précision effarante, chaque scène compose autant sur le plan d’ensemble que la finesse d’une dorure, le fil d’or dans un tapis ou le carmin d’un lourd rideau de moire. Les tableaux s’enchainent, vifs et brillants, de batailles en extérieurs, mais surtout sur les architectures de palais grandioses et démesurés. Les salons ne cessent de s’ouvrir sur de nouvelles pièces, les costumes se surexposent aux tentures dans un feu d’artifice presque figé, ou réglé au cordeau dans le froufrou d’un bal atemporel. Deux films viennent à l’esprit face à ce monument : Barry Lyndon, pour sa picturalité. L’Apollonide, pour l’épaisseur cossue de ses intérieurs. Ces comparaisons permettent de déterminer clairement la singularité du Guépard : scintillant là où la photographie de Kubrick travaille sur les quasi sfumato et rend laiteuse une mélancolie générale, ouvert et spacieux, officiel et guindé là où Bonello laisse le stupre exprimer ses phantasmes et ses limites. On pourrait, dès lors, ne voir dans cette reconstitution grandiose qu’une certaine idée du cinéma, panégyrique d’un spectacle total et clinquant. C’est sans compter sur le personnage de Don Fabrizio, Burt Lancaster crépusculaire, et véritable centre névralgique du film. Son vortex. Avant même que de s’intéresser à lui, Visconti multiplie les contrepoints : la satire de deux mondes, l’un inconscient de sa fin, l’autre grossier dans son irruption, et des images d’une beauté triste : l’alignement de pots de chambres dans une salle attenante au bal, où la visite d’un palais décati à la splendeur grise et aux tableaux retournés contre les murs. « Un palais dont on connait toutes les pièces n’est pas digne d’être habité », dit-on, sans comprendre à quel point cette pose dans la richesse symbolise l’ignorance nécessaire de celui qui veut survivre dans un monde qu’il ne comprend plus. Fondé sur la dilatation, des échanges, de cette fameuse scène du bal, le récit est construit sur le principe de la circonvolution : autour d’un homme qui meurt avec sa classe, et prend le parti d’en prendre conscience. Avec lui, on solde les comptes d’un monde qui pourrit dans la splendeur : le bal est dès lors un rassemblement de guenons en période de reproduction, qui ira perpétuer une race fatiguée dans la consanguinité la plus dégénérée. Don Fabrizio, à cheval entre deux mondes, à l’aise dans aucun, prend en marge de la fête la mesure de sa sortie de scène. Au matin, alors que l’orchestre s’échine encore pour les rares qui refusent de se coucher, le Prince quitte les intérieurs cossus pour la rue. Fusionnant avec les murs abimés qui l’entourent, englouti par l’obscurité, dans un silence assourdissant, il fusionne avec la ruine.
Dans l’attente que l’archéologue Visconti vienne restaurer les ors de son flamboyant passé. Bravo encore pour cette très belle chronique Nulla ! Ne ratez pas non plus la lecture du roman (et la lecture de la biographie de l'auteur, "roman" assez parallèle ! ). « la mélancolie des adieux d’un homme à son ère » « le jeune aux dents longues, qui comprend que la fin de l’aristocratie suppose des concessions, et joue la carte de l’opportunisme : « Si tu veux que tout reste comme avant, il faut que tout change », déclare-t-il à son oncle le Prince »Tu décris et cites très bien tout ce qui a trait à la rupture temporelle, aux classes sociales. Il manque peut-être la dimension géographique et culturelle : l’espace, la lumière (surtout dans le film), bref la Sicile ? Le film reprend je crois (?) ce dialogue extraordinaire du roman, où le prince Salina se montre un moment compréhensif avec son interlocuteur, ses idéaux démocratiques, l'avènement d'une société de classes moins cloisonnées, pour ensuite se retourner violemment et refuser tout investissement politique vers la république ! Les propos sont énormes ! Il ne s'agit plus seulement de chocs de classes sociales mais de cultures, celle du nord contre celle du sud, la raison contre les habitudes du pays. Et la Sicile est décrite, de par la violence de son climat, frustre, hermétique à jamais à la raison même, dit je crois le Prince... Lampedusa écrit bien sûr ceci avec le recul d'un siècle de tentative de république dans le sud italien, sous le joug de la Maffia. La mélancolie du Prince trouve alors dans cette posture sauvage, un point de cristallisation. Si le temps échappe au Prince, loin de n'être qu'un fantôme mélancolique, intellectuel averti, il fait alors corps avec la rusticité de la montagne et de l'île entière ! Ce thème Nord-Sud, raison démocratique contre archaïsme pourrait être rapproché de l'opposition proposée dans la « La montagne magique », entre l'allemand protestant rationaliste et l'italien Settembrini, catholique irrémédiablement pêcheur. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 16:20 | |
| - Azbinebrozer a écrit:
- Si le temps échappe au Prince, loin de n'être qu'un fantôme mélancolique, intellectuel averti, il fait alors corps avec la rusticité de la montagne et de l'île entière !
Complètement, la forte personnalité du Prince domine d'ailleurs une bonne partie du film. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 16:29 | |
| Ah oui, totalement, mais il y a une montagne de choses dont je n'ai pas encore parlé, c'est tellement riche... La discussion avec Reggiani devant la montagne est splendide, tout comme la certitude paisible que tout ira de pire en pire du Prince. Tes compléments sont parfaits, à mon tour de te dire bravo ! | |
| | | Azbinebrozer personne âgée
Nombre de messages : 2751 Date d'inscription : 12/03/2013 Age : 63 Localisation : Teuteuil Humeur : mondaine
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Sam 11 Oct 2014 - 16:38 | |
| - Nulladies a écrit:
- Ah oui, totalement, mais il y a une montagne de choses dont je n'ai pas encore parlé, c'est tellement riche... La discussion avec Reggiani devant la montagne est splendide, tout comme la certitude paisible que tout ira de pire en pire du Prince.
Tes compléments sont parfaits, à mon tour de te dire bravo ! Oui une telle montagne impossible à traiter en une chronique ! En tout cas j'ai pas souvenir d'avoir autant aimé un roman que son adaptation au ciné !! Deux montagnes (dont ma vue n'arrive plus à distinguer précisément les sommets respectifs... ) | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 12 Oct 2014 - 7:26 | |
| Homme libre, toujours tu chériras ta mère Il est difficile d’éviter les parallèles qui se dessinent dès le début du film entre le personnage de Steve et la stature du cinéaste Dolan. A l’image de Diane, le spectateur se trouve forcer de cohabiter avec une forte personnalité, qui impose ses codes fougueux et exige que l’autre s’adapte. L’imagerie échevelée d’un ado instable a de quoi irriter dans un premier temps. Clip oscillant entre la pop sucrée assumée (Dido…) et une musique proche des ambiances de Sigur Ros, le tout sur une imagerie low-fi des suburbs canadiennes et jaunie par un soleil néanmoins poétique sur ces trajectoires libertaires en caddie ou longboard… Dans la droite lignée de States of Grace, on est tentés de décliner, surtout lorsqu’on sait qu’on s’engage dans un film de 2h20. Dingo, libre dans sa tête. A croire qu’il le faisait volontairement pour mieux nous conquérir par la suite, Dolan opère un changement de point de vue par l’irruption du personnage de Kyla, voisine mutique, puis bègue, qui s’épanouira au contact de frappadingues comme une fleur fragile. « Accroche ta ceinture, on va décoller », prévient Diane quand Steve met la compile du père décédé. Programme audacieux, mais qui emporte tout : il fallait quand même un sacré culot pour m’émouvoir avec du Céline Dion. Dès lors, le trio formé nous entraine à sa suite, et le travail en tous points exceptionnel des acteurs permet une chevauchée sur les montagnes russes du pathos : la vulgarité qui touche, le rejet d’un monde conventionnel, et les crises qui brisent un temps l’harmonie pour rappeler sa précarité. Celle qui oppose Kyla à Steve, lorsqu’il la provoque et arrache son collier, est l’un des très grands moments du film, et pose l’une de ses petites limites : à trop vouloir jouer au yoyo avec leur destin et les émotions de l’audience, la répétition guette, ainsi que l’affadissement, que Dolan a tendance à conjurer par une certaine surenchère (comme la scène de karaoké ou du supermarché, par exemple). Vol au-dessus d’un nid de casse-cou(ille)s. Mommy est une bombe émotionnelle ; à prendre ou à laisser, mais s’y exposer implique qu’on en accepte les dommages collatéraux. Excessif, jeune et fougueux, il ne fait pas de concessions. On peut ergoter sur les passages en force, comme ce carton initial sur la loi de 2015, gage de « crédibilité » assurant les rails vers le dénouement, ou le jeu sur les formats. Le 1/1 fonctionne assez bien pour oppresser, et l’élargissement fonctionne la première fois, même si le fait qu’il le soit par les mains du protagoniste manque tout de même de subtilité. Il en est de même pour les caméras portées et les champs/contre champs sans cut. Quand on a que l’humour Il reste cette alchimie imparable, la grâce avec laquelle Dolan sait orchestrer l’humain, une langue phénoménale, d’autant plus humaine qu’elle est argotique. Portraitiste hors pair des femmes, doté d’une tendresse infinie pour son protagoniste, Dolan creuse un sillon qui est le sien, se débarrassant des motifs extérieurs (du sexe ou du polar) pour plonger tête baissée dans les soubresauts d’une humanité fragile. La came isole. [Spoilers] « L’amour n’a rien à voir là-dedans, malheureusement », annonce une responsable du centre au début du film. Démenti lucide à cette malédiction initiale, Mommy hurle, mais sait aussi s’épanouir avec une maturité impressionnante, à l’image de l’échange final entre les deux femmes : composant avec les non-dits, et la prise de conscience que la parenthèse enchantée s’achève, le film se teinte alors d’une mélancolie qui nous a fait accéder au triste monde des adultes arrachés aux fulgurances de la jeunesse désormais anesthésiée par les calmants. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 12 Oct 2014 - 9:52 | |
| Désolé, je passe. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| | | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 12 Oct 2014 - 15:00 | |
| Oui au genre egotrip d'auteur prébubère. Et aux films dont les bandes-annonces commencent par une remise de prix en festival. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... Dim 12 Oct 2014 - 15:01 | |
| Et puis je t'avais bien dit que j'allais le ressortir ce smiley ^^ |
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| Sujet: Re: Voyage en salle obscure... | |
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| | | | Voyage en salle obscure... | |
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