« La conscience règne et ne gouverne pas » Paul Valéry
« Le fil rouge » est un polar de l’auteur italienne Paola Barbato et traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza. Ce livre fait partie de la collection « Sueurs froides » aux éditions Denoël, il est sorti le 05/11/15. En outre, il possède une très belle couverture. Cette histoire est bâtie en 3 parties avec un épilogue en plus. Elles apportent un souffle nouveau qui relance sans cesse l’histoire. Elles permettent une gradation dans la tension et le suspense. Pour terminer, nous aboutissons à l’épilogue avec une fin magistrale qui tient toutes ses promesses.
« Black-out complet. »
« Le fil rouge » nous raconte l’histoire d’Antonio Lavezzi, ingénieur de profession, qui suite au meurtre de sa fille Michaela, a vu sa vie éclater. S’absentant quelques minutes de son domicile pour un chantier dont il a la charge. Il rentre chez lui, trouve la porte ouverte puis est assommé, laissé pour mort, black-out complet…Un mois de coma plus tard, il se réveille de son cauchemar et ignore tout ce qui s’est passé… Dans la maison familiale, sa jeune fille de treize ans Michaela a été violée puis étranglée, sans que personne n’ait pu être là pour lui porter secours. La scène du meurtre est abominable… Tirant des conclusions sur les irresponsabilités de son mari, le couple que forme Antonio et Lara se brise. Antonio se réfugie dans une forme de « mutisme professionnel ». Il règle sa vie comme une horloge ne se laissant aucun répit ou temps mort pour penser aux circonstances du malheur qui l’accable perpétuellement.
Quelques années plus tard, dans un des chantiers qu’il mène, un cadavre est découvert. Il ressent que ce meurtre n’est alors qu’une mise en scène pour l’interpeller. Le lendemain, il découvre inscrit un message qui lui promet de lui livrer le nom de l’agresseur de sa fille s’il suit une sorte de cheminement dont il ignore le contenu. Le commanditaire qui se fait appelé « l’Assassin » le contacte pour qu’il devienne le rouage d’une série de meurtre. Menant son enquête en parallèle, sa vie va être bouleversée…
L’intrigue s’installe rapidement. Elle est basée sur un schéma connue mais toujours efficace autour d’un homme qui cherche à se venger. Elle prend place en Italie, dans diverses villes italiennes. Nous suivons les déambulations du héros qui est un rouage d’un mécanisme plus grand que lui basé sur la vengeance. Un peu comme dans « l’expérience de Milgram », chaque phase est découpée en ordre dont personne ne connaît la suite logique. Toutes imbriquées, un plan terrible se met alors en route d’une précision implacable.
On pourrait parler d’une forme de construction double dans l’histoire, un mélange détonnant de « Dr Jekyll et Mr Hyde« avec des phases réflexives et d’actions. L’intrigue est parfaitement ficelée et tient toutes ses promesses jusqu’au dernier chapitre. L’auteur balade son lecteur en le laissant dans le flou et petit à petit, tout se distille, la peur, l’incompréhension et la brutalité. Ce mélange s’opérant de pages en pages promet un dénouement magistral qui vous scotchera jusqu’à la fin.
« Quelqu’un paiera à un moment ou un autre. »
Comme dit dans l’intrigue, le thème général du roman est la vengeance. Un individu comme tout le monde est frappé du sceau de l’injustice et cherche justement à se faire justice par tous les moyens. Cela revêt une forme de rédemption pour lui. Il n’arrive pas à éteindre le feu de celle-ci en laissant ce crime impuni. Il n’arrive plus à trouver d’équilibre dans sa vie comme aurait pu induire une revanche. Ici, pas de tergiversations, quelqu’un paiera à un moment ou un autre. La vengeance augmente la violence de l’œuvre et rajoute en intensité dans l’épaisseur des personnages. Il n’y a pas de transcendance de la justice ici, c’est « œil pour œil, dent pour dent » : « La douleur est un fil subtil »…
On peut citer dans cette histoire trois personnages principaux, ou qui du moins, ont un rôle très important.
Antonio est le personnage principal. Il est pragmatique, cartésien mais au final lâche malgré ce désir de vengeance à l’intérieur de lui. Suite à l’assassinat de sa fille, il va faire une forme de « fuite en avant » mais tout en gardant au fond de lui cette rancœur, genre de détonateur, que l’Assassin ne manquera pas d’actionner. Le chaos règne chez celui qui cherche en vain le contrôle. Sa difficulté à se projeter dans l’avenir ainsi que ses échecs avec les conquêtes féminines ne sont que les signes d’une angoisse de castration liés à la culpabilité qui le ronge. De page en page, cet homme calme va être rongé par « l’intranquilité ». La folie le menace et gagne de jour en jour du terrain : « Le doute est le mal. Le doute est le poison ». Attirant les regards et les interrogations de ceux qui l’entourent, il trouve des stratagèmes pour se justifier mais compris bien que cette fièvre qui désormais l’anime ne pourra prendre fin qu’en réparant son erreur initial.
L’autre personnage important du récit est l’Assassin. C’est un homme mystérieux, on ne sait rien sur ses motivations qui le poussent à mettre en scène des crimes. Même si dans la 3ème partie du livre, tout semble limpide sur son identité, Paola Barbato parvient à maintenir le suspense jusqu’aux derniers instants où elle nous le livre sur un plateau.
Finalement, il y a Lara, l’ex-épouse du héros. Elle est un peu la personne morale de cette histoire, celle qui contrebalance l’attitude d’Antonio. Elle est une femme forte, elle prend des décisions. Elle est le contrepoids d’Antonio. C’est une femme sûre, solide et fiable. Elle joue un rôle important dans l’histoire car elle est celle qui a découvert le corps de son mari inconscient et celui de sa fille. Seule, elle a du affronter toutes les épreuves alors que son mari était plongé dans le coma à l’hôpital pendant plus d’un mois.
Il est plus facile pour elle de reprocher la faute à Antonio, son incompétence que d’admettre la réalité.
Dans l’histoire, nous pourrions citer l’entrepreneur d’Antonio qui vient apporter une touche de légèreté et parfois d’humour qui permet de relâcher la tension de l’intrigue et de rendre les personnages plus humains et attachants.
« Les pages défilent à toute allure. »
L’écriture de ce roman est extrêmement fluide et le récit glisse parfaitement, les pages défilent à toute allure. La traduction, parfaite, garde toute la fraîcheur du récit. Paola Barbato a inclus dans son récit les pensées d’Antonio. C’est assez déstabilisant au début car on a du mal à voir où il veut aboutir. De plus les pensées sont écrites en italiques afin de bien montrer la séparation entre le personnage publique et l’intériorité. Intérieurement se joue une partie où Antonio lutte contre ses pensées internes qui sont déroutantes, parfois incompréhensibles mais qui construisent une pensée finale qui aboutiront au paroxysme de l’œuvre.
Les chapitres courts oscillent entre moments réflexifs et d’actions, nous sommes toujours dans cette structure double qui se répercute aussi dans la structure de la narration. L’écriture de Paola Barbato est incisive et prend toute son ampleur dans les phases de dénouement, donnant un rythme haletant aux actions. Grâce à une écriture précise, elle parvient parfaitement à créer un climat de tension notamment lorsque le héros découvre les messages : des phrases simples et épurées plongent le protagoniste dans une profonde réflexion. Toute la difficulté dans le polar est de garder le lecteur dans une forme de questionnement ou de vigilance tout en restant dans un langage simple et clair, le défi est ici parfaitement relevé.
Paola Barbato apporte un vrai plus à son histoire en nous permettant d’analyser les pensées d’Antonio. De plus, par les petits indices qu’elle disperse ici et là dans l’histoire, comme des petits cailloux, elle montre le chemin à son lecteur. Rien n’est cousu de fil blanc et la compréhension ne se déroulera que dans le dernier mouvement du livre. Les descriptions sont excellentes et viennent servir une galerie de personnages tous plus ou moins plongés dans la tourmente d’un drame intime et profond. Elles viennent servir aussi les scènes violentes du livre où le crime sans fard est angoissant, troublant et ne manquera pas de vous mettre la nausée (notamment la scène du meurtre de la jeune fille). Paola Barbato soigne aussi les petits détails comme des petites brèches qui permettent de voir pendant quelques instants des lueurs d’humanité. On peut penser notamment à la photo de Michaela avec les 3 doigts de pied qui dépassent du linceul mortuaire qui feront enfin exulter la douleur du héros principal et lui tirera les larmes qu’il n’avait jamais réussi à avoir. Dans les scènes parfois difficiles, l’auteur utilise une écriture qui flirte parfois avec la poésie. Dans certaines scènes notamment, elle imprègne son récit d’une touche très intimiste, qui rajoute en véracité, et qui ne manquera pas de réveiller en vous de la compassion. Témoin des scènes, nous assistons à la longue descente aux enfers d’Antonio.
« Une histoire qui puise son essence
dans des sentiments exacerbés »
Nous sommes ici en présence d’un excellent thriller qui ne manquera pas de vous garder en haleine. Même si les codes sont assez connus et le schéma récurrent, l’histoire ne perd pas en énergie. Le lecteur est rapidement propulsé dans l’action et il n’y a pas de temps mort dans le récit. L’écriture fluide de Paola Barbato ne manquera de vous charmer et vous gardera en haleine durant toutes vos nuits. Une histoire qui puise son essence dans des sentiments exacerbés par la cruauté d’un crime originel. La dernière partie du livre est une plongée à couper le souffle impossible à stopper, on ne peut s’arrêter de lire. Dans tous les cas, vous passerez un très bon moment de lecture.
Titre : Le fil rouge
Auteur : Paola Barbato
Éditeur : Denoël
Collection : Sueurs Froides
ISBN : 9782207118900