« Comme on connaît les siens, on les abhorre » Balzac
« Il reste la poussière » est le nouveau roman de Sandrine Collette paru aux éditions Denoël. Ce nouveau livre est très attendu suite aux beaux succès de l’auteur avec notamment « Six fourmis ». Cette fois-ci l’histoire est aux antipodes des précédentes car elle se situe en Patagonie, territoire situé à l’extrême sud de l’Amérique du Sud. C’est un lieu sec et froid où la rudesse de la vie va permettre à l’auteur de nous présenter une histoire authentique et impressionnante. Pour écrire son livre, l’auteur n’a pas hésité à se rendre sur place et a sûrement été happée par la beauté des lieux. Cette histoire noire va vous emporter dans les confins du globe et de la psychologie humaine.
Patagonie. Dans la steppe balayée de vents glacés, un tout petit garçon est poursuivi par trois cavaliers. Rattrapé, lancé de l’un à l’autre dans une course folle, il est jeté dans un buisson d’épineux.
Cet enfant, c’est Rafael, et les bourreaux sont ses frères aînés. Leur mère ne dit rien, murée dans un silence hostile depuis cette terrible nuit où leur ivrogne de père l’a frappée une fois de trop. Elle mène ses fils et son élevage d’une main inflexible, écrasant ses garçons de son indifférence. Alors, incroyablement seul, Rafael se réfugie auprès de son cheval et de son chien.
Dans ce monde qui meurt, où les petits élevages sont remplacés par d’immenses domaines, l’espoir semble hors de portée. Et pourtant, un jour, quelque chose va changer. Rafael parviendra-t-il à desserrer l’étau de terreur et de violence qui l’enchaîne à cette famille ?
L’intrigue prend sa source autour d’une famille pauvre de quatre garçons qui sont sous les ordres d’une mère. L’absence du père a forcé les enfants a grandir plus vite que les autres. Depuis leur plus jeune âge, ils doivent s’enquérir de toutes les tâches liées à leur « estancia ». Ils se débattent à travers les moutons sur les « criollos » et sont accompagnés de leurs chiens. Ce qui pourrait être une partie de franche fraternité est en réalité un calvaire pour le plus petit Rafael. En effet, il est le souffre douleur des frères, leur chose, qu’ils utilisent à leur bon vouloir, pour s’amuser. Chaque enfant cherche à trouver sa place dans cet ersatz de famille. La mère acariâtre tient durement les rênes de la maison en ne laissant aucune place à la tendresse. Suite à un pari complètement fou après des excès d’alcool, la famille va éclater et le matriarcat va être remis en cause au quotidien. Une découverte achèvera de détruire le semblant d’unité et bouleversera le destin des membres. L’intrigue se déroule sur plusieurs niveaux et offre ainsi de nombreux rebondissements.
Plusieurs sujets sont abordés dans ce livre. La famille est ici un des thèmes principaux du livre, la mère la tient avec une poigne de fer. Les quatre enfants ont des relations ambiguës, tantôt frères et tantôt ennemis. En effet, la première scène du livre donne le ton de l’histoire, elle sera noire et violente. Dans ce monde de taiseux, on ressent la puissance des silences et des regards qui en disent longs. Sandrine Collette a réalisé un magnifique travail dans les descriptions et les tensions entre les divers protagonistes sont réellement palpables. Une hiérarchie s’est créée dans la fratrie en l’absence du père. D’ailleurs, ce père absent est à l’origine de toutes ses relations. Les enfants sont obligés de grandir plus vite que prévu, ils ont en charge la estancia et la mère ne les considère plus comme des enfants mais comme des hommes ou des forces de travail. In fine, la loi du plus fort s’installe insidieusement. Cela emmènera le jeune Rafael à subir les pires atrocités car étant le dernier de la fratrie, il ne peut encore supporter la charge de travail des autres.
L’innocence est présente dans ce livre. Paradoxalement, c’est par son absence implicite qu’elle brille. En réalité, elle est confrontée à d’autres inclinaisons. On peut opposer l’innocence du jeune Rafael à ses autres frères. Elle va disparaître et obliger les frères à grandir plus vite que prévu. Plus ciblé que les autres, le plus jeune va devoir sortir de cet état pour survivre car la mère feint de ne pas voir son fils maltraité par les autres. Comme si par son silence, elle approuvait l’attitude des grands. Pour elle, c’est vrai qu’il est une bouche de plus à nourrir, c’est vrai qu’il est encore trop petit pour travailler, c’est une sorte de boulet qu’il faut qu’elle garde à ses basques et qui lui renvoie constamment l’image de ce père absent…
L’extrême loyauté des enfants envers la figure maternelle est impressionnante malgré toutes les brimades et l’autorité qu’exerce la mère sur ses enfants. Un peu comme « le syndrome de Stockholm », les enfants agissent sans se plaindre mécaniquement, cherchant tous un regard approbateur de la mère. Ils vivent en autarcie dans ces grandes estancias isolées où l’autre se fait souvent absent. La découverte du monde par Joaquin va ouvrir une brèche dans la vie de la famille.
Implicitement, les personnages vont tous chercher à s’extraire de leurs conditions, chacun à leur manière. En tout cas, ceux qui chercheront à se dépasser ou du moins à découvrir autre chose s’échapperont de cette prison. Durant l’évolution du récit, ceux qui refuseront cette condition auront une fin tragique. Rafael est un magnifique exemple, tout en restant loyal à ses origines et aux préceptes qu’il a reçu, par sa capacité à s’extraire et et à se montrer grand, il va expier les fautes familiales et rebâtir ce qui aurait du toujours être. Comme un chemin initiatique, il va subir des épreuves et toutes les surmonter. Il en sortira grandi et le lecteur suivra avec plaisir son ascension, je note le nom du dernier chapitre choisi par Sandrine Collette : « Rafael, toujours »…On ressent chez l’auteur à quel point, elle s’est épris de compassion pour ce personnage qui renverse toutes les situations. Très beau clin d’œil et magnifique hommage où l’on peut voir le génie de l’écriture.
Le décor de l’histoire est indissociable de l’intrigue. Rigide et difficile, il est une métaphore des sentiments des personnages. Les cœurs sont secs et arides. D’amour, il n’en est plus question où du moins, il est dans une impasse. Même au sein de la fratrie, des alliances sont passées pour pouvoir survivre et se faire entendre.
A la manière des espaces arides et secs, le cœur vit la même météo. Le temps présent dans ce livre est difficilement identifiable. Sandrine Collette a voulu surement figer le temps pour rendre ce récit encore plus vrai et qu’il devienne intemporel. Dans ces grands espaces, les durées ne sont plus mêmes. La nature donne le « La » de la vie.
Rafael est le personnage principal de l’histoire. Tout le récit s’articule beaucoup autour de son personnage. En effet, il est le point de jonction entre le passé et le futur. Souffre-douleur de ses frères, il a une extrême force en lui qui lui permet de tenir. Intelligent, malgré toutes les brimades qui veulent lui faire croire le contraire, il est loyal et est d’une pureté sans égale dans l’estancia. On pourrait le traiter de naïf mais ce n’est que relatif à ce qu’il a vécu dans la ferme sous le joug de la ferme où la mère condamne ses enfants à vivre dans un autre siècle. Rafael est un personnage qui va grandir et devenir très loyal envers une idée qu’il s’est faite au cours de la déchéance des frères…remettre l’estancia sur pied. Redresser ce qui n’aurait jamais du décliner. Comme un péché originel du à sa naissance ou à l’absence de son père qu’il doit laver, il va expier les fautes une à une. Le livre s’ouvre sur une scène atroce où ses frères s’amusent à le lancer comme une vulgaire chose, ils lui enlèvent son humanité, son droit de vivre. Cela illustre aussi sa condition de vie vis à vis de sa mère, il n’est qu’une bouche à nourrir de plus et ne s’intégrera jamais à la fraternité.
La mère est un personnage très important dans ce livre car elle est celle par qui tout commence et par qui tout se termine. Personnage aigri et détaché, on a du mal à la cerner au début du livre. On peut noter que Sandrine Colette a fait le choix de ne pas donner de nom à cette mère, elle en perd son coté maternel finalement, cette chaleur humaine source d’amour. Cependant, plus on avance dans l’histoire et plus elle installe la tragédie. Dans la structure du récit, ses décisions pèseront lourds sur l’issue de sa famille. Elle en porte l’entière responsabilité. Elle mène son existence comme un fardeau, quelque chose de mécanique, de ritualisé où elle n’a pas à se morfondre dans ses propres remords. Sa déchéance sera tragique.
Sandrine Collette a un style percutant qui place ici les personnages dans une dureté du paysage qu’elle parvient parfaitement à nous faire saisir. Les phrases courtes mettent en valeur la parole des gens où l’économie des mots n’est pas dénuée de sens pour autant. Nous sommes dans un roman qui illustre parfaitement le fait que la forme peut servir le fond. L’auteur possède un style qui épouse parfaitement les conditions difficiles des relations mises en place dans ce livre. L’émotion affleure dans chaque parole. L’auteur a fait le choix dans la construction de son livre de changer le point de vue de l’histoire à chaque chapitre. Chacun porte le nom d’un personnage et nous livre une vision de l’histoire non manichéenne, à savoir un unique point de vue simple et basique. Grâce à ce procédé, le roman prend une dimension particulière qui permet une vision plus globale sur la trame narrative. Difficile de juger un personnage dans ce cas-là, lorsque l’on a tous les éléments en main. De plus, grâce à ce choix narratif, nous allons pouvoir confronter des pensées, des visions aux antipodes sur un événement de l’histoire. Nous pouvons voir aussi l’évolution des protagonistes qui par la force des choses prennent des directions diamétralement opposées. Le livre suit l’évolution des frères sur plusieurs périodes de l’enfance et de l’adolescence. En usant de l’ellipse, le tableau continue de se noircir pour les personnages. Plusieurs fois, le livre flirte avec le « nature-writing » à l’américaine. Les grands espaces apporteront de nombreuses émotions aux lecteurs. Les magnifiques descriptions, à couper le souffle et éprises de liberté, viendront étayer cela. Les exemples qui illustrent le mieux cela sont les chevauchées des « criollos », lancés à toute allure dans les steppes arides et épineuses.
Sandrine Collette nous livre ici un magnifique roman d’une immense intensité. Ce livre marquera le début d’année des lecteurs et est un vrai coup de cœur pour moi. Dans la suite logique de ses autres livres, l’auteur ne déçoit pas. Tout du « nature-writing » est présent dans cette œuvre. De l’intensité, de l’émotion, des non-dits…un cocktail parfait pour mettre en scène un roman noir. Malgré la dureté des épreuves présentes dans le récit, ce livre vous réservera une magnifique lecture qui fera légion dans cette année 2016. Sur le bandeau du livre était écrit en gros : Magistral….Les éditions Denoël ne se sont pas trompées. En effet, on tient entre les mains un roman « magistral ».
Titre : Il reste la poussière
Auteur : Sandrine Collette
Éditeur : Editions Denoël
ISBN : 9782207132562