Nombre de messages : 8265 Date d'inscription : 04/12/2008
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 10:48
Nulladies a écrit:
bro' a écrit:
Effroyables Jardins. Une scène avec Villeret, André Dussolier et Thierry Lhermitte. Ma carrière au cinéma a été tué dans l'oeuf puisque le monteur a décidé de couper les plans où ma présence irradiait la bobine.
tu faisais de l'ombre aux stars, sans nul doute.
j'ai senti un véritable malaise lorsque Lhermitte répétait sa scène assis sur un banc à mes côtés.
en tout cas, c'était très enrichissant. le travail fourni par les acteurs, la précision de la mise en scène, les attentes interminables pour avoir une bonne lumière, l'organisation impeccable de ce petit village surexcité m'a véritablement impressionné.
Rorschach sourcilman ^^
Nombre de messages : 6953 Date d'inscription : 10/02/2009 Age : 43
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 12:13
Il a beaucoup tourné dans notre cher région mon bon Bro'
bro' caquer, c'est si bon
Nombre de messages : 8265 Date d'inscription : 04/12/2008 Age : 45 Humeur : badine
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 12:27
Rorschach a écrit:
Il a beaucoup tourné dans notre cher région mon bon Bro'
à la recherche de la perle rare sans doute. elle lui est passée sous le nez. je ferai carrière dans le cinéma plus tard, lorsque j'aurais les tempes grisonnantes.
le mutant le bonheur est sur le pré
Nombre de messages : 275 Date d'inscription : 09/07/2010
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 12:39
De la même famille que Boris ?
bro' caquer, c'est si bon
Nombre de messages : 8265 Date d'inscription : 04/12/2008 Age : 45 Humeur : badine
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 14:21
le mutant a écrit:
De la même famille que Boris ?
cette branche des Becker est plus joufflue et bedonnante.
davcom ancienne belgique
Nombre de messages : 7029 Date d'inscription : 06/06/2012 Age : 55 Localisation : 50 Degrés Nord
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 14:47
bro' a écrit:
Ma carrière au cinéma a été tué dans l'oeuf puisque le monteur a décidé de couper les plans où ma présence irradiait la bobine.
Tony's Theme air guitariste
Nombre de messages : 9160 Date d'inscription : 08/04/2009 Age : 49 Humeur : Monochrome
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mar 11 Mar 2014 - 15:31
bro' a écrit:
le mutant a écrit:
De la même famille que Boris ?
cette branche des Becker est plus joufflue et bedonnante.
Le nom Becker dans ma région à une certaine réputation...
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Mer 12 Mar 2014 - 6:49
Les cloisons du fiel
Rien n’annonce, dans l’exposition de Casque d’or, la tragédie en sommeil. Echappée dans les guinguettes de la Belle Epoque, le film s’ouvre sur la Seine et ses plaisirs tous droits sortis des nouvelles de Maupassant. Lieu de valse, de rencontre, Joinville sera aussi celui des retrouvailles amoureuses pour Marie et Georges, lors d’une parenthèse enchantée en dehors de la ville, où l’on s’affranchira de la parole et du réel pour laisser la nature déployer ses charmes. Avant d’être une histoire d’amour atemporelle, le récit place un univers et un contexte, celui des bandes de malfrats et de leur organisation : hiérarchie, place des femmes, règlements de comptes, tout est codifié et figé. La femme est une poule, et elle appartient à son Jules, qui peut s’en défaire s’il le souhaite. De cet univers surgit Casque d’or, une Signoret radieuse d’insolence et d’individualité. Gouailleuse, espiègle, elle se distingue par une volonté aussi déterminée que dangereuse : la valse qui ouvre son coup de foudre avec Georges est à elle seule un programme : d’une fluidité extraordinaire, elle instaure un mouvement continu, celui de la foule qui danse, au centre duquel se fige le regard de Marie sur George ; au bras d’un autre, sans jamais se départir de son tendre sourire de défi, elle tétanise littéralement le protagoniste qui, statue d’émoi, semble incarner le célèbre vers racinien : « je l[a] vis, je souris, je palis à sa vue ». La suite du drame ne sera que la tentative de reconquête de cet instant primitif, par la volonté d’une libération spatiale. Georges, libéré de prison, n’a plus qu’à en trouver une autre, celle de la passion. Il est intéressant de voir comment sa réinsertion semble se placer sous le joug de l’enfermement : lorsque Marie vient le trouver, on insiste sur le point de vue de l’intérieur de la boutique (une cellule tout ce qu’il y a de plus monacal, comme le fait remarquer Raymond) sur la devanture presque champêtre. En franchissant ce seuil, Georges se libère de ses bonnes résolutions et empiète sur un nouvel espace, celui des proscrits qui l’avait déjà conduit en détention. Ce milieu, brutal et grossier, dépeint avec une authenticité étonnante par Becker, dénote avec les portraits en gros plans de Marie, oniriques et légèrement floutés, hors temps et mythologiques. C’est celui des insultes, des grandes gueules, mais aussi de l’amitié entre filles et de la solidarité entre compagnons. Socialement, Casque d’or propose l’histoire d’une indépendance qui ne fonctionne pas : elle reste une prostituée, il ne tient pas à sa place d’honnête menuisier. [Spoilers] Ce déterminisme tragique est filé dans toute l’exploration spatiale du récit : si l’amour consommé de Joinville peut un temps nourrir l’illusion d’une relation paisible, n’oublions pas que le geste d’intimité, au matin, lorsque Georges sert le café à Marie, se fait à travers une fenêtre ouverte. De la même façon, tous les liens aux autres se feront par des cloisons : c’est le trou dans le fourgon cellulaire qui permet de communiquer avec Georges, c’est le mur infranchissable pour le cadavre de Roland, c’est enfin la fenêtre du commissariat que Georges va franchir pour commettre l’irréparable. De cette passion, il ne restera qu’un regard. Celui des amants sur le mariage de civils, certes enfermés dans l’église et leur costume, mais qui un temps laisse rêveur. Et celui, enfin, de la maîtresse sur son amant. L’ultime fenêtre, « la meilleure du boulevard », pour laquelle on paie d’avance, lui donne accès à l’ultime cloison, celle de la cour de la prison, retour tragique de l’unité de lieu pour la mise à mort pressentie dès le départ. Ce retour à la clôture n’occulte pas les échappées solaires qui auront nourri les liens d’amitié et de passion amoureuse entre les individus ; il les encadre violemment, comme un écrin de fiel autour d’un diamant rare.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Jeu 13 Mar 2014 - 6:36
Enfermé dehors.
Il est assez facile de déterminer en quoi Touchez pas au grisbi est un grand film. Son générique à lui seul a valeur d’argument d’autorité : Becker, Gabin, Ventura. Les comédiens en imposent par leur seule présence, et lorsqu’ils ouvrent la bouche, la gouaille et l’argot qui les caractérise semblent graver dans le marbre atemporel la facture classique du récit dans lequel ils évoluent. La photographie est de haute facture, les ambiances musicales typées, à l’instar de ce leitmotiv de la danse, déjà bien présent dans Rendez-vous de juillet et Casque d’or, assorti de ce petit plus qu’est le motif musical de l’harmonica qui vous signe tout ça à la manière d’un Morricone, pour les siècles des siècles, amen. Alors voilà, on s’incline, on se plie à la loi de la postérité ? Non. Becker est suffisamment talentueux pour qu’on puisse exiger de lui davantage. Ce film m’a laissé dans une indifférence totalement inattendue. Alors qu’on peut souvent trouver des explications à certaines irritations (l’ennui, l’incompréhension) dans des œuvres exigeantes, ici, tout semble y échapper : je ne vois aucune justification à la lenteur phénoménale du récit (pas de tensions sous-jacente, pas de naturalisme non plus da ns ces scènes de repas, de coucher), pas plus que je ne trouve séduisantes ces caricatures de monstres sacrés qui posent leur stature feutrée de colosses inamovibles. Je ne vois pas d’intérêt à cette intrigue on ne peut plus linéaire, et si j’ai un temps attaché de l’attention à la thématique des héros vieillissants, c’est pour accroitre la déception de voir cet enjeu totalement délaissé par la suite. Le film noir a des vertus généralement sombres et cyniques qui ne transparaissent pas non plus ici : il ne suffit pas d’insulter ou de gifler des femmes à tour de bras pour y prétendre, et tout cet exercice de style est plus plaqué et artificiel que réellement habité.
Esther Yul le grincheux
Nombre de messages : 6224 Date d'inscription : 31/10/2013 Age : 50 Humeur : Taquine
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Jeu 13 Mar 2014 - 6:48
Pas d'accord. Je trouve au contraire que la lenteur de ce film est en raccord avec les désirs du personnage de Gabin de vouloir raccrocher. Il incarne un gangster fatigué qui aimerait raccrocher mais qui se trimballe un baltringue qui met en péril ses désirs de calme. Je trouve au contraire que montrer ce quotidien somme toute assez banal était une bonne idée. Un gangster est avant tout un être humain qui se lave les dents avant de se coucher, comme tout le monde.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Jeu 13 Mar 2014 - 6:53
J'avais vu cette intention comme ça aussi, mais franchement, ça n'a pas du tout passé pour moi, j'ai trouvé ça inefficace au possible.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Sam 15 Mar 2014 - 7:12
Ivre de larmes et de peinture
La peinture a toujours inspiré les grands cinéastes, qui lorsqu’ils l’abordent, le font généralement avec l’humilité du disciple face aux maitres ancestraux : c’est Pialat et Van Gogh, ou Tarkovski et Roublev. La vie de Modigliani recèle tout ce qui caractérise l’artiste maudit, suffisamment pour occulter son véritable travail et son œuvre : Modi le maudit, sans le sous, alcoolique et marginal, est en soi un personnage de fiction. Becker ne tombe pas totalement dans le piège du biopic romanesque, et laisse affleurer des considérations picturales assez touchantes. Le film s’organise à partir de la peinture elle-même de Modigliani, à savoir des portraits, le plus souvent en buste. Becker, reprenant ce parti-pris, s’attache à caractériser l’entourage proche de l’artiste : c’est d’abord l’amante cynique Béatrice, aussi passionnée qu’adjuvant à sa destruction, et jalonnant son parcours en l’invitant à retrouver les abîmes. C’est aussi Leopold, l’ami infaillible, la goutte de sobriété dans cet océan d’ivresse. C’est enfin Jeanne, le grand amour et « l’eau pure », qui tentera vainement de le maintenir à la surface. Modigliani, au cœur de cette spirale autodestructrice, promène son regard désenchanté et laisse de temps à autre échapper une parole lucide, enjoignant ceux qui le soutiennent de le quitter pour ne pas sombrer avec lui. Car le deuxième cercle, celui du monde, est d’une violence plus forte encore. L’intervention de la police pour retirer un nu de la vitrine, qui choque le quartier, symbolise cette autre thématique : celle du regard du public sur l’œuvre du peintre. Dès la scène d’ouverture, la déception du quidam dont Modi a fait le portrait donne le ton : le monde se divise en deux catégories : ceux qui méprisent, et ceux qui spéculent. L’échange avec le richissime américain, belle séquence d’achat ignare, montre l’intrusion du capitalisme dans le monde de l’art, et la totale incompatibilité de l’artiste sincère avec lui. La figure méphistophélique de Lino Ventura, prédateur charognard attendant patiemment son heure, achève la démonstration. Dans un Paris de plus en plus nocturne et nappé d’un brouillard désespéré, antithèse du Nice de l’éphémère rédemption, le succès posthume se prépare. La scène finale, déchirante, voit Jeanne radieuse devant le marchand de tableau qui fait défiler les œuvres, dans un double mouvement qui dit tout de la vie d’un artiste maudit : celui de la dépossession d’un cadavre encore chaud, et celui de la naissance à la postérité.
Invité Invité
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Sam 15 Mar 2014 - 9:01
Celui-là je me le note pour commencer, le sujet devrait plaire à ma femme !
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Dim 16 Mar 2014 - 7:54
Porosité ambiante
Il est peu fréquent qu’un film carcéral commence aussi bien que Le Trou : Gaspard, par sa politesse et son air angélique, séduit les deux camps de la prison : le directeur, et ses nouveaux compagnons de cellule. De ces deux instances, la longue exposition valorise une arme égale : la méticulosité : celle avec laquelle on tranche tous les aliments reçus dans les colis, on procède aux fouilles des cellules pour les gardiens. Celle avec laquelle on assemble des boites en carton pour les détenus, labeur de façade pour le grand œuvre que sera l’évasion. Cette méticulosité, ce sens du détail sont aussi l’œuvre de Becker lui-même, virtuose dans la sécheresse du ton et l’âpreté du regard. Sur un thème résolument romanesque, il désactive les effets de manche par une esthétique documentaire de laquelle sourd une tension d’une authenticité phénoménale. Rivé au visage et aux poings de ces hommes qui travaillent la paroi, le cinéaste exacerbe, par de longs gros plans, la lenteur de la tâche : plans fixes et plans séquences imposent ainsi, en temps réel, l’effritement du béton et le sillon de la scie à métaux. Tous les sens sont convoqués : c’est d’abord le bruit (le parti pris génial étant de ne proposer aucune musique), terrible d’angoisse par sa puissance et le danger qu’il génère, puis lancinant par sa rythmique martiale et volontaire. Le toucher, sur toutes ces matières solides qui jalonnent un parcours hostile : métal, béton, gravats, bois, serrures. Alors que l’odorat et le goût sont réservés aux rares mais fondamentaux moments de partage des colis qui galvanisent la petite communauté, le regard, bien sûr, couronne l’ambitieuse entreprise : par l’œilleton, il est à double sens : c’est celui, inopiné, du gardien, auquel répond le périscope de fortune qui offre une quasi omniscience. Sur près de deux heures et quart, le film suit la lenteur d’une progression, dans laquelle l’espace clos est devenu une telle norme qu’un parcours dans un couloir à la lumière d’une torche de fortune a déjà la saveur d’une course libre, tout comme le cour d’eau d’un égout semble déjà une récompense. Car l’autre grande idée du film est la prise en otage du spectateur. Nous sommes clairement en cellule avec ces cinq hommes, sans aperçu de l’extérieur, et l’attention porté à leur évasion occulte les raisons qui les réunissent ; et partant, toute morale. Film d’action, au sens premier du terme, il évacue toute dimension discursive au profit d’élans performatifs. Durant un des rares moments d’échange, Gaspard dit à un codétenu qu’il ne s’est jamais senti aussi bien dans sa peau que depuis qu’il les a rencontrés ; il est alors clairement la figure du spectateur, embarqué dans une entreprise de taiseux volontaires, et enivré du même enthousiasme qu’eux. [Spoilers]
Spoiler:
Progressivement, pourtant, la porosité des parois s’accroit. C’est tout le paradoxe tragique de l’évolution du récit : à mesure qu’on creuse vers l’extérieur, celui-ci s’invite dans la prison : ce sont les interventions de plus en plus fréquentes des gardes, c’est la visite de la maitresse de Gaspard, et, enfin, son invitation dans le bureau du directeur. Trois images qui ébranlent tout l’équilibre spatial jusqu’alors confiné, mais aussi rassurant : un visage de femme, un beau parquet qu’on lustre avec insistance devant la porte du directeur, et un taxi qui passe devant la plaque d’égout qu’on soulève. On rentre, à chaque fois, par solidarité, pour retrouver les futurs compagnons de route ; mais le ver est dans le fruit. Pourtant, c’est bien à la victoire des justes qu’on nous convie à la fin, par cette image d’une incroyable puissance qui voit s’inviter la totalité des gardiens sur le minuscule périscope. Mais le sentiment de révolte qui nous étreint, cette catharsis inversée, est le coup de maitre du cinéaste. Nos compagnons de cellule, toujours aussi mutiques, offrent au traitre un dernier regard, où la colère se mêle à la pitié, et le laissent se rendre seul dans une cellule ou il aura tout perdu pour avoir convoité une liberté légitime. Puissant, oppressant, authentique, d’une mise en scène d’autant plus intelligente qu’elle se terre dans les creux de sa sobriété, Le Trou est un film immense, qui à son tour perce l’espace étriqué du cinéma français et le mène vers de nouveaux horizons.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Dim 16 Mar 2014 - 7:55
RabbitIYH a écrit:
Celui-là je me le note pour commencer, le sujet devrait plaire à ma femme !
Oui, mais s'il n'en restait qu'un, ce serait le Trou : un chef d'oeuvre.
Gengis Yes, he can.
Nombre de messages : 17768 Date d'inscription : 18/11/2008
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Dim 16 Mar 2014 - 9:38
Nulladies a écrit:
Porosité ambiante
Il est peu fréquent qu’un film carcéral commence aussi bien que Le Trou : Gaspard, par sa politesse et son air angélique, séduit les deux camps de la prison : le directeur, et ses nouveaux compagnons de cellule. De ces deux instances, la longue exposition valorise une arme égale : la méticulosité : celle avec laquelle on tranche tous les aliments reçus dans les colis, on procède aux fouilles des cellules pour les gardiens. Celle avec laquelle on assemble des boites en carton pour les détenus, labeur de façade pour le grand œuvre que sera l’évasion. Cette méticulosité, ce sens du détail sont aussi l’œuvre de Becker lui-même, virtuose dans la sécheresse du ton et l’âpreté du regard. Sur un thème résolument romanesque, il désactive les effets de manche par une esthétique documentaire de laquelle sourd une tension d’une authenticité phénoménale. Rivé au visage et aux poings de ces hommes qui travaillent la paroi, le cinéaste exacerbe, par de longs gros plans, la lenteur de la tâche : plans fixes et plans séquences imposent ainsi, en temps réel, l’effritement du béton et le sillon de la scie à métaux. Tous les sens sont convoqués : c’est d’abord le bruit (le parti pris génial étant de ne proposer aucune musique), terrible d’angoisse par sa puissance et le danger qu’il génère, puis lancinant par sa rythmique martiale et volontaire. Le toucher, sur toutes ces matières solides qui jalonnent un parcours hostile : métal, béton, gravats, bois, serrures. Alors que l’odorat et le goût sont réservés aux rares mais fondamentaux moments de partage des colis qui galvanisent la petite communauté, le regard, bien sûr, couronne l’ambitieuse entreprise : par l’œilleton, il est à double sens : c’est celui, inopiné, du gardien, auquel répond le périscope de fortune qui offre une quasi omniscience. Sur près de deux heures et quart, le film suit la lenteur d’une progression, dans laquelle l’espace clos est devenu une telle norme qu’un parcours dans un couloir à la lumière d’une torche de fortune a déjà la saveur d’une course libre, tout comme le cour d’eau d’un égout semble déjà une récompense. Car l’autre grande idée du film est la prise en otage du spectateur. Nous sommes clairement en cellule avec ces cinq hommes, sans aperçu de l’extérieur, et l’attention porté à leur évasion occulte les raisons qui les réunissent ; et partant, toute morale. Film d’action, au sens premier du terme, il évacue toute dimension discursive au profit d’élans performatifs. Durant un des rares moments d’échange, Gaspard dit à un codétenu qu’il ne s’est jamais senti aussi bien dans sa peau que depuis qu’il les a rencontrés ; il est alors clairement la figure du spectateur, embarqué dans une entreprise de taiseux volontaires, et enivré du même enthousiasme qu’eux. [Spoilers]
Spoiler:
Progressivement, pourtant, la porosité des parois s’accroit. C’est tout le paradoxe tragique de l’évolution du récit : à mesure qu’on creuse vers l’extérieur, celui-ci s’invite dans la prison : ce sont les interventions de plus en plus fréquentes des gardes, c’est la visite de la maitresse de Gaspard, et, enfin, son invitation dans le bureau du directeur. Trois images qui ébranlent tout l’équilibre spatial jusqu’alors confiné, mais aussi rassurant : un visage de femme, un beau parquet qu’on lustre avec insistance devant la porte du directeur, et un taxi qui passe devant la plaque d’égout qu’on soulève. On rentre, à chaque fois, par solidarité, pour retrouver les futurs compagnons de route ; mais le ver est dans le fruit. Pourtant, c’est bien à la victoire des justes qu’on nous convie à la fin, par cette image d’une incroyable puissance qui voit s’inviter la totalité des gardiens sur le minuscule périscope. Mais le sentiment de révolte qui nous étreint, cette catharsis inversée, est le coup de maitre du cinéaste. Nos compagnons de cellule, toujours aussi mutiques, offrent au traitre un dernier regard, où la colère se mêle à la pitié, et le laissent se rendre seul dans une cellule ou il aura tout perdu pour avoir convoité une liberté légitime. Puissant, oppressant, authentique, d’une mise en scène d’autant plus intelligente qu’elle se terre dans les creux de sa sobriété, Le Trou est un film immense, qui à son tour perce l’espace étriqué du cinéma français et le mène vers de nouveaux horizons.
Le dénouement m'avait vraiment marqué à l'époque.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Dim 16 Mar 2014 - 9:39
Pareil, je l'ai vu la première fois vers 14 ans, et j'ai gardé des images indélébiles de la fin.
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
Nombre de messages : 914 Date d'inscription : 21/11/2008
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Dim 16 Mar 2014 - 22:46
Nulladies a écrit:
RabbitIYH a écrit:
Celui-là je me le note pour commencer, le sujet devrait plaire à ma femme !
Oui, mais s'il n'en restait qu'un, ce serait le Trou : un chef d'oeuvre.
Ca se discute, ça, mon p’tit gars.
Le Trou est un très grand film, personne n’est assez couillon pour dire le contraire, mais ce que Becker propose en 60, ça existe déjà chez Bresson. Un condamné à mort s'est échappé et, surtout, Pickpocket. Le geste et le silence, toussa, toussa.
En revanche, quand il fait le Grisbi, là, en 55, il réinvente, vraiment, il fait table rase, décoiffe le Scarface de Hawks, met du gras à la ceinture de Pépé le Moko et lui fait une tartine de pâté sur biscotte, il réécrit tout le bidule « Noir » ricain en gris clair très français, filme les silences, les gestes, et nique à sec toute la concurrence. Le chef d’œuvre Beckerien, c’est Touchez pas au Grisbi. Si. C’est Melville mieux que Melville avant Melville.
Invité Invité
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Lun 17 Mar 2014 - 0:46
Goupi Tonkin a écrit:
C’est Melville mieux que Melville avant Melville.
Je demande à voir ! Du coup va falloir que je le voie... merde, me voilà fait.
Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Lun 17 Mar 2014 - 5:59
Goupi Tonkin a écrit:
Nulladies a écrit:
RabbitIYH a écrit:
Celui-là je me le note pour commencer, le sujet devrait plaire à ma femme !
Oui, mais s'il n'en restait qu'un, ce serait le Trou : un chef d'oeuvre.
Ca se discute, ça, mon p’tit gars.
Le Trou est un très grand film, personne n’est assez couillon pour dire le contraire, mais ce que Becker propose en 60, ça existe déjà chez Bresson. Un condamné à mort s'est échappé et, surtout, Pickpocket. Le geste et le silence, toussa, toussa.
En revanche, quand il fait le Grisbi, là, en 55, il réinvente, vraiment, il fait table rase, décoiffe le Scarface de Hawks, met du gras à la ceinture de Pépé le Moko et lui fait une tartine de pâté sur biscotte, il réécrit tout le bidule « Noir » ricain en gris clair très français, filme les silences, les gestes, et nique à sec toute la concurrence. Le chef d’œuvre Beckerien, c’est Touchez pas au Grisbi. Si. C’est Melville mieux que Melville avant Melville.
Salaud, tu te réveilles juste pour venir polluer mon cycle en me contredisant. Et ça me donne moins envie de me lancer dans le cycle Melville, maintenant...
Goupi Tonkin la séquence du spectateur
Nombre de messages : 914 Date d'inscription : 21/11/2008
Sujet: Re: [Cycle] Jacques Becker Lun 17 Mar 2014 - 17:10
Nulladies a écrit:
Goupi Tonkin a écrit:
Nulladies a écrit:
RabbitIYH a écrit:
Celui-là je me le note pour commencer, le sujet devrait plaire à ma femme !
Oui, mais s'il n'en restait qu'un, ce serait le Trou : un chef d'oeuvre.
Ca se discute, ça, mon p’tit gars.
Le Trou est un très grand film, personne n’est assez couillon pour dire le contraire, mais ce que Becker propose en 60, ça existe déjà chez Bresson. Un condamné à mort s'est échappé et, surtout, Pickpocket. Le geste et le silence, toussa, toussa.
En revanche, quand il fait le Grisbi, là, en 55, il réinvente, vraiment, il fait table rase, décoiffe le Scarface de Hawks, met du gras à la ceinture de Pépé le Moko et lui fait une tartine de pâté sur biscotte, il réécrit tout le bidule « Noir » ricain en gris clair très français, filme les silences, les gestes, et nique à sec toute la concurrence. Le chef d’œuvre Beckerien, c’est Touchez pas au Grisbi. Si. C’est Melville mieux que Melville avant Melville.
Salaud, tu te réveilles juste pour venir polluer mon cycle en me contredisant. Et ça me donne moins envie de me lancer dans le cycle Melville, maintenant...
Non, non, Melville mérite un cycle. D'ailleurs, je crois que "Un Flic" passe à la téloche cette semaine.