« Sur la réserve » est le premier roman de Carole Mijeon aux éditions Daphnis & Chloé. C’est un roman d’anticipation se présentant sous la forme d’un journal de bord à la première personne. Un récit qui tombe à pic en lien avec l’actualité en plein accord avec la Cop 21 actuelle.
« Et s’il n’y avait plus de pétrole en France ? »
Un matin, Ludovic tombe bêtement en panne d’essence à la sortie de son village. Rien de grave à priori, pourtant ses ennuis ne font que commencer et sa vie en sera bouleversée à tout jamais. Car la pénurie de pétrole qui paralyse le pays interdit toute faiblesse ou indolence.
Jour après jour, Ludovic raconte ses mésaventures, ses petites victoires et ses grandes médiocrités. Son monde s’écroule et il n’a rien vu venir. Personne n’a rien vu venir. Le pays plonge dans le marasme et la société se tourne vers la débrouille.
Le thème anticipatif est de plus en plus en récurrent dans la littérature, beaucoup de livres traitent d’un thème lié à une angoisse de l’avenir. Rapidement, on peut citer « Le village évanoui » de Bernard Quiriny ou dans un autre registre « Ravage » de Barjavel. « Sur la réserve » s’inscrit donc dans cette lignée d’histoires qui ont pour base une forme de « huis-clos » propice à ouvrir une nouvelle problématique à celle déjà en place.
Carole Mijeon aborde un sujet qui pourrait faire partir d’un futur proche. Le sujet est vraiment ambitieux car il navigue entre deux sentiments. Cela nous semble presque impossible que l’homme en vienne ainsi à arriver au bout des réserves (naïveté humaine), on touche presque au genre fantastique tellement notre société ne peut le concevoir, assise sur ses certitudes. En même temps, quelque chose s’est insinué au fond de nous, on a pris conscience que cette éventualité est peut-être envisageable un jour…telle sera la douleur des personnages…
Ce roman est aussi une forme de dénonciation de la société de consommation, cette dépendance au pétrole que l’on ne mesure pas forcément au quotidien, il est présent partout, pas uniquement dans le carburant mais aussi dans de beaucoup de produits usuels. Même si ce roman ne se veut pas un pamphlet écologiste, le lecteur comprend l’urgence de changer qui se trame en arrière plan. La conscience de changer nos façons de faire est amenée de façon douce, seul le pétrole manque au début…puis tout se désagrège en quelques jours.
« Les mœurs et les idéaux des individus vont bouger. »
Dans l’urgence, la société s’organise comme elle peut. Le centre névralgique de la vie reprend tout son sens avec la place du village et les allocutions régulières du maire qui tente du mieux qu’il peut de calmer les mécontentements de ses concitoyens. L’événement étant si soudain, les collectivités sont dans la réaction. Rapidement, on voit resurgir des fantômes des heures sombre du passé : rationnement, files d’attente, comptage. Les leçons du passé sont toujours là pour rappeler aux hommes que rien n’est jamais vraiment terminé. Encore une leçon à retenir pour beaucoup de citoyens. En lien avec cela s’ajoute une forme « d’urgence de la pensée » car en effet, les mœurs et idéaux des individus vont bouger. On n’agit pas et on ne pense pas de la même façon selon certains facteurs comme la faim, l’argent, le contexte politique ou la guerre…les exemples sont nombreux : « Le calvaire que nous vivions attisait notre égoïsme ».
Dans le repli continu du village qui se referme sur lui de jour en jour, un huis-clos se met en place. Tout le monde épie tout le monde. Tout se sait, rien n’échappe au regard des voisins. Rumeurs et messes basses deviennent le quotidien des échanges entre villageois. Les sentiments, comme dans tous les lieux clos, sont exacerbés et peuvent rapidement être mal interprétés.
Dans cette suite de catastrophes, on remarque que les convictions des protagonistes volent en éclats. Un constat est à faire, il s’agit de l’échec d’un mode de vie basé sur le pétrole. Certes, force est de constater à la lecture qu’il se passe quelques chose dans les relations commerciales avec d’autres pays mais même ainsi, personne n’avait vu venir cette crise.
Ce nouveau contexte va entraîner des mutations sociétales inattendues car tous les rapports vont être modifiés. En effet, au niveau social, la richesse telle qu’on la perçoit aujourd’hui va changer de critères. Au royaume de la débrouille, un objet parfois insignifiant peut prendre énormément de valeur (cf le vélo). Ainsi, les riches ne sont pas forcément ceux qui vont s’en sortir le mieux. Certains d’ailleurs refusent cet état et préfèrent baisser les bras en se donnant la mort tellement ce revirement de situation est insupportable pour eux. La valeur de la « terre » va reprendre ses lettres de noblesse que cela soit pour l’individu ou la collectivité. Celui qui possède un petit lopin de terre à cultiver possède une grande richesse et attise la jalousie des autres. Le rapport entre les sexes est bousculé, peu de place pour la femme dans cette catastrophe. Dans ce roman, elle est cantonnée à des activités de base, sans lui laisser la possibilité de s’émanciper (garder les enfants, faire à manger…). L’homme est occupé à gérer la sécurité du village et à faire des rondes de nuit pour veiller aux intrusions dans ce territoire nouvellement défini.
De surcroît, plus le village se replie sur lui-même, plus il doit faire à un questionnement très en lien avec notre actualité. Le village doit-il accepter « les réfugiés du pétrole » ? Tout un débat se crée et le peu d’humanité qu’il reste aux habitants va être mis à rude épreuve entre les partisans du pour et du contre. Un vrai débat sociétal, une allégorie de notre quotidien où la lucidité et l’objectivité vont être questionnées.
« Deux éducations différentes se confrontent. »
Ludovic est le protagoniste principal du roman, c’est un jeune trentenaire qui vit à la campagne. Il retouche les photos pour les publicités. Rapidement, il va être en difficulté, il survit dans ce monde où il n’a jamais réussi à anticiper. Il est profondément humain même si la faim tiraillant, il commence doucement à convoiter le jardin de sa voisine. Le repli de la société sur elle-même lui pose vraiment un cas de conscience qui va le suivre durant toute l’intrigue de ce roman. Il a du respect pour les gens car il développe un comportement protecteur concernant ses proches que cela soit sa voisine ou concernant son amie qui a un enfant.
C’est un personnage non dénué d’ironie dans ses propos, il a gardé un semblant d’humanité (du moins, il le croit encore).
Agathe semble être la contre-mesure de Ludovic avec son laconisme faussement naïf. Elle souhaite aider Ludovic mais en lui faisant prendre conscience des choses. Chaque aide résonne avec un tintement de reproche sur ce qu’il a réalisé dans sa vie et sur son manque d’anticipation. Parfois, on ne sait pas trop si elle plaint notre héros ou si elle se moque de lui.
Finalement, au travers de ces deux personnages, il s’agit de deux éducations différentes qui se confrontent et bien au-delà de cela, ce sont deux conceptions de la vie aux antipodes qui se rencontrent.
La difficulté principale est d’accepter sa condition, de prendre la mesure de celle-ci puis de s’en s’extraire pour avancer. Ludovic et Agathe représentent deux mondes qui s’affrontent sur plusieurs aspects : âge (vieux, jeune) / sexe (homme vs femme) / mode de vie (jouissance direct vs crainte du futur)
« La forme choisie du journal
contribue à rendre le récit vivant. »
Carole Mijeon possède un style vif et concis qui met bien en valeur l’urgence de la situation que vivent les personnages. La forme choisie du journal contribue à rendre le récit vivant, authentique et donne l’impression de chasser le superflu pour aller à l’essentiel. Le rôle des chapitres, avec cette répétition continue « sans pétrole » qui martèle le message, fixe la difficulté de la société et telle Sisyphe, nous rappelle que tout est à reconstruire quotidiennement. De surcroît, la ponctuation du texte, saccadée, donne du rythme au récit et illustre les sentiments qui traversent notre héros.
Le narrateur de cette histoire est le héros principal de cette histoire ce qui nous permet de tout connaître sur les aspects de l’histoire. Au niveau des descriptions, les moments de faim sont vraiment bien décrits. On souffre avec le protagoniste. Il y a une vraie véracité proche de l’identification dans l’écriture de l’auteur.
Carole Mijeon réalise parfaitement une description évasive des gens du stade, on ne voit plus l’autre comme nous mais comme une forme humaine floue. On ne se reconnait plus car les gens voient au travers du prisme de la crise. Comme aujourd’hui, on oublie que les réfugiés sont des êtres humains car on se replie sur soi-même tellement la société rend méfiant et aspire au repli.
On peut faire un parallèle avec l’arrivée des réfugiés actuellement en France et la méfiance de certains à cause du contexte, à la télévision, on voit des personnes, des formes qui avancent mais que nous reste t’il de ces images une fois la télévision éteinte…
Le rêve est la dernière chose agréable qui subsiste pour le héros comme une faille spatio-temporelle où Ludovic renoue avec des moments de douceur de son ancienne vie.
Le glissement des pensées de plus en plus extrêmes se fait ressentir de plus en plus lorsque l’on avance dans le récit. Autrefois, l’ami devient rapidement celui dont on se méfie, dont on a peur (cf l’arrivée des gens au stade)
Un livre qui sort dans « un contexte social particulier »
Un livre qui sort dans « un contexte social particulier » et qui trouve de l’écho dans notre perception quotidienne des événements actuels. Pour un premier roman, Carole Mijeon signe un très beau récit qui se lit de façon très fluide. Le sujet est certes de plus en plus récurrent mais pour autant, ce livre tire son épingle du jeu en apportant un éclairage intéressant sur un élément de notre quotidien que l’on manipule sans s’en rendre compte. Comme un cri d’alarme, ce livre prête à ouvrir les consciences sur un futur peut-être pas si éloigné que cela. Ce livre s’inscrit dans les lectures que j’ai pu avoir avec des références comme « Le village évanoui », » Ravage », « La route » ou encore « Dôme ». Vous passerez en tout cas un agréable moment de lecture.
Titre : Sur la réserve
Auteur : Carole Mijeon
Éditeur : Daphnis & Chloé
ISBN : 979-10-253-0048-0