« Confessions Spectacle » est le second roman du jeune auteur Gabriel Guillet. Il avait déjà publié « Macao Men » auparavant, toujours chez Daphnis et Chloé. Dans cette nouvelle histoire, l’écrivain va traiter de la télé-réalité. Arrêtons-nous quelques instants sur le titre qui a ici une fonction de description et de séduction, il met en valeur le récit et attise la curiosité du lecteur. Ce livre oscille entre le roman de mœurs où l’on se concentre sur les comportements qui découlent de la télé-réalité, et d’analyse car on se questionne sur la psychologie des personnages et sur leurs motivations profondes. La trame va tourner autour de deux personnages aux antipodes l’un de l’autre : Victor Zannelli et Agathe Vernier. Lui est un présentateur / producteur à qui tout sourit mais qui se morfond dans une tristesse dont il ne comprend l’origine. Il va donc rencontrer Agathe, jeune psychiatre, qui rêve d’avoir un peu de magie dans sa vie qu’elle pense maîtriser en tous points : « La dernière fois, tu pleurnichais sur ta crainte d’une vie morose et maintenant, tu fais la tiède ». Leurs parcours vont donc se télescoper.
L’auteur nous décrit finement la psychologie des personnages avec d’excellents passages : « Quatre ans de carrière. D’une seule traite. Comme on boit un verre cul-sec. La vitesse vertigineuse du passé quand les souvenirs se font rares sur la corde raide de son histoire. Pas de folies sur la route. Quelque chose de si simple qu’on a toujours peur de ne plus savoir si on tient les rênes ou si on tient le coup. Agathe Vernier était un bout de femme quand elle était sortie diplômée. Avec un titre qu’elle aurait volontiers brandi devant le monde entier tant elle était heureuse de ses nouveaux pouvoirs. Cicatriser les plaies les plus profondes de l’esprit humain. Apaiser les chagrins infinis. Adoucir les tortures odieuses qui secouent les âmes. Le sentiment enivrant de s’embarquer dans une cause tellement utile qu’elle ne peut-être que juste. En posant sa plaque de cuivre sur la porte, elle n’imaginait que le bonheur exquis de prouesses à réaliser. Le métier lui avait endurci la carapace ».
L’auteur nous explique la carrière de Zannelli, on ne peut s’empêcher de penser à divers acteurs du PAF comme Arthur ou encore John De Mol (le fondateur du groupe Endemol), on sent que l’écrivain a pris un malin plaisir à croquer le héros. Il décortique son parcours, ce qui lui permet en même temps de faire une critique acerbe de ce milieu (toute ressemblance avec des animateurs que vous connaissez serait fortuite). Je ne peux m’empêcher de mettre un passage qui décrit parfaitement l’ascension de beaucoup de célébrités télévisuelles : « En dix-huit mois, un peu en avance sur son programme, il décida de passer à l’action. Il fallait viser modeste pour pouvoir ensuite frapper un grand coup. Il avait le plan en tête. Tout d’abord, prendre d’assaut une émission minable pour se garantir une première visibilité. Le mieux était de choisir un jeu bouffonesque qui était diffusé en fin d’après-midi sur une chaîne oubliée. Il fut recruté par une nouvelle équipe qui s’était montée sur de douteux financements étrangers. L’angle de tir était réduit, mais il avait au moins trouver une place pour passer à l’antenne. Une fois qu’il fut installé dans une de ces décharges intellectuelles qu’engraissent les agences médias par des spots publicitaires dont le niveau vient terrasser le pauvre spectateur, déjà décérébré, il utilisa sa verve pour peaufiner certains discours. Il sortit un amas de considérations à la pertinence médiocre, mais tout à fait détonantes dans cet univers plat. Victor avait lancé l’appât. Il ne restait plus qu’à prier le pêcheur. Une semaine plus tard, il fut contacté. On lui proposait un poste de chroniqueur. Le métier de chroniqueur est un métier d’observateur dont l’objet analysé peut-être politique, social, économique, culturel ou complètement futile. Zannelli fut sélectionné pour commenter les évènements appartenant à la dernière catégorie. Son rôle consistait à discourir, avec un certain vernis, sur des faits inconsistants et des actualités mièvres. Le plus souvent, il s’agissait de faire la génuflexion devant des artistes installés ou, au contraire, de la lapidation sur des cibles déjà neutralisées. Sinon, en panne d’inspiration, il pouvait toujours se faire mousser d’un bêtisier sur les émissions précédentes. L’exercice n’était pas glorieux, mais lui permettait d’apprendre les ficelles. En outre, il s’accompagnait d’un confortable revenu pour les quelques paroles distribuées au fil de ses différentes farces ».
La confrontation prend sa place dans le cabinet de la psychiatre, haut lieu de la confidence. Zannelli a un caractère bien trempé, il est dans la force de l’âge. Il n’a connu que des succès au cours de sa carrière, pas d’erreurs apparentes ou du moins de failles. Rien ne semble lui résister. L’écrivain nous présente deux personnages qui ont en commun leur réussite mais qui sont diamétralement opposés quand au chemin parcouru pour y arriver. La qualité du huis clos se basera sur ce dilemme où Zannelli tentera par tous les moyens de déstabiliser la jeune psychiatre.
Agathe Verdier attend de pied ferme la célébrité, elle tente de se rassurer tout au long des séances comme quoi elle ne se laissera pas faire, qu’elle en a connu d’autres. Elle se pose de nombreuses questions, et a beaucoup de préjugés sur son patient, cependant elle ne laisse rien échapper et reste stoïque en apparence car elle nourrit au long du récit une forme d’obsession pour son patient. En revanche, Zannelli parle beaucoup et confusément, il évoque des souvenirs familiaux, se confie, s’emporte puis se calme. Il semble passer par toutes les émotions, à en devenir paranoïaque. Victor se sent observé, scruté, épié, disséqué, comme dans les télé-réalités qu’il produit puis envoie tout balader et quitte la séance. Au long des séances, on comprend que derrière la lumière de part son métier, il y a un aspect de sa vie qui est beaucoup plus sombre.
Pour avancer, les deux protagonistes vont donc conclure un pacte. Il est matérialisé par une enveloppe, si la psychiatre l’ouvre suite à un excès de son patient, alors la thérapie se terminera irrémédiablement. C’est un garde-fou. En faisant parler le protagoniste lors des séances, l’auteur pourra ainsi émettre le fond de sa pensée sur ce genre de programmes à savoir que le phénomène est bien plus compliqué qu’on peut le penser. Gabriel Guillet aurait pu choisir d’autres moyens pour s’exprimer (un essai, une enquête…), il a choisi le roman pour son rapport à la durée et au temps. L’écrivain décrit aussi parfaitement l’évolution des personnages avec des positions qui vont changer, des lignes qui vont bouger. La sphère privée vient se télescoper avec l’aspect public comme dans les émissions où l’intime se révèle aux yeux de tous. Le texte est toujours incisif, pas de passages inutiles, la forme sert le fond. Il y a toujours ce parallèle avec la télé-réalité, même dans la construction du récit, les séances chez la psy apparaissent comme scénarisées. Les scènes s’enchaînent avec vivacité grâce aux ellipses et aux coupes de texte. L’intrigue est rondement menée, on sent tout le long du livre que dans les coulisses, une autre histoire se joue sans pour autant que l’on réussisse à définir ses contours. Puis vient le dénouement qui est magnifique, tout le travail de l’écrivain rejaillit à ce moment. C’est jouissif ! Ce livre se lit rapidement et l’on passe un agréable moment avec deux personnages très attachants.