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| [Cycle] Mankiewicz | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Dim 13 Avr 2014 - 8:25 | |
| - Nulladies a écrit:
- La luxuriance étouffante du jardin d’hiver de Violette, sa maison baroque (annonçant celle, délirante, du Limier)
Je n'avais pas fait le rapprochement mais en effet ! Il y a quelque chose d'allégorique dans ces demeures extravagantes (voire labyrinthique pour Le Limier) au baroque étouffant et morbide. Ce film est aussi l'un de mes préférés mais certaines scènes m'agacent malgré le talent des actrices par les excès emphatiques du texte... ça reste plus supportable que dans la plupart des films adaptés de Tennessee Williams car la mise en scène et l'atmosphère délétère ont tout autant de poids mais petit bémol tout de même. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Dim 13 Avr 2014 - 8:33 | |
| Je comprends parfaitement qu'on puisse avoir du mal avec l'outrance du texte. Mais j'ai vraiment été emporté, ça m'a complètement hypnotisé. | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Lun 14 Avr 2014 - 6:48 | |
| Jeu est un autre Difficile de s’attendre à une œuvre aussi profuse lorsqu’on en considère la teneur : un huis-clos, deux personnages, près de 2h20 de conversations : l’adaptation théâtrale est évidente, et répond au désir, après Cléopâtre, qu’à Mankiewicz de « tourner un film avec deux acteurs dans une cabine téléphonique. » Pourtant, l’entrée par le labyrinthe végétal et les fausses trappes que celui-ci propose en dit long sur le programme des réjouissances. La demeure d’un luxe inouï de l’aristocrate auteur de romans policier british jusqu’au marque page est à l’image de sa conversation : pleine comme un œuf. Bibelots, plateaux de jeu, puzzles, pantins animés, pas un centimètre carré de cet espace entièrement colonisé par le jeu n’est laissé vacant. Pour souligner cette prolixité et rendre supportable l’oppressante et grandissante claustrophobie, le recours au mouvement est constant : aussi fluide que chez Max Ophuls, la caméra balaie les lieux, longe les rampes d’escalier et chorégraphie le moindre déplacement. Mais la mouvance latérale du regard n’est pas le seul motif d’instabilité : tout n’est que mouvance dans cet échange, affrontement de deux personnes, deux classes sociales, et surtout de deux comédiens. Doté d’un flegme britannique aussi pittoresque que savoureux, la conversation débute sous les feux d’une étonnante franchise : dans un cocktail détonnant, on voit se mêler trivialité et préciosité anglaise. Jouons carte sur table et jaugeons l’adversaire, semblent se dire les rivaux, à ceci près que tout ce qui découlera de ce dialogue authentique initial ne sera qu’un enchainement de mensonges et de manipulations à la complexité croissante ; jusqu’au point de non-retour. Jeu de massacre poli, le récit joue sur une ambivalence fondamentale, celle des approches ludiques d’une frontière morale qu’on s’accorde, croit-on, à ne pas dépasser. On peut ainsi mettre à sac, pour la mise en scène, le décor. On peut ainsi mettre un pistolet sur la tempe de son camarade, ou s’apprêter à le livrer à la police. En noyant dans la logorrhée rhétorique et cynique les mouvements savants sur l’échiquier, les belligérants attendent patiemment l’heure de la revanche, exploitant toujours les faiblesses de l’autre : sa nécessité, sa lubricité, son mépris des flics ou des étrangers : tout ce que vous pourrez penser sera retenu contre vous. Le jeu, apparemment, n’a qu’un objectif : humilier celui qui s’y sera pris. La jouissance perverse du voyeur n’est pas le moindre des écrans de fumée : car la première reddition n’est pas celle du personnage qui s’effondre ou supplie, mais bien celle de la victime consentante embrigadée dans ce festival des pantins : le spectateur. | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Lun 6 Oct 2014 - 6:42 | |
| Hanté social, ton père au sang-froid. Le sujet a beau être éculé, quand un maitre comme Mankiewicz s’en empare, la saveur est de mise. Patriarche confit dans une tradition, George Apley centralise à lui-seul toute la société bien-pensante de Boston. Satisfait, souriant, pétri de bonnes manières qui font passer dans un sourire le mépris de l’autre et de l’étranger (à savoir le résident de la rue d’à côté), il fait tourner l’horloge des marronniers, de galas de charités en thanksgiving, de maisons d’été en mariages arrangés. On a beau connaitre la donne depuis Molière, la microsociété est croquée ici avec une telle acidité, le fiel est si raffiné qu’on en redemande. La tante acariâtre, le cousin lèche botte, le beau-frère cynique, chacun trouve sa place dans une partition réglée au millimètre. Joué admirablement, servi par des dialogues qu’on sait chez Mankiewicz affutés comme des lames de rasoir, la comédie humaine n’en finit pas de se déployer. La belle idée de cet opus est de situer l’intrigue en 1912 : certes, la jeune génération est loin du mouvement hippie, mais on tente vaille que vaille de faire valoir une certaine liberté de mœurs, à l’image de la fille qualifiant sa famille de tribu primitive enfermée dans ses rites. Mais la petite étincelle de génie provient de l’intrusion d’un nouveau penseur qui va révolutionner les mœurs, un certain Freud dont les théories se répandent sur toutes les générations. Au fil d’une conversation d’anthologie et alors qu’il tente de s’ouvrir et de s’émanciper de son surmoi, le père de famille va ainsi évoquer la primauté du sexe dans notre inconscient à sa femme et lui demande de ne plus lui raconter ses rêves… Sans totalement s’abandonner à la comédie débridée qui ferait la part belle à la nouvelle génération et son succès en matière de mariage d’amour (la partie n’étant finalement que partiellement remportée), c’est bien à la figure du père que Mankiewicz se consacre : son parcours, ses revirements et sa difficulté à s’extraire d’un carcan séculaire, thèmes qui font aussi la force d’On murmure dans la ville ou de Chaînes Conjugales. On retiendra notamment la forte leçon de renoncement à l’amour proposée par l’épouse à sa nièce, lui expliquant les vertus du mariage de raison, et y croyant avec tendresse. Car en dépit du vitriol ambiant, le réalisateur ne se départ jamais d’une véritable affection pour chacun de ses personnages, qui tentent de composer avec les lois du milieu dans lequel on les propulse. Les films de Mankiewicz s’enchainent et se ressemblent : superbement écrits, fluides, lucides sur la nature humaine et dénués de mépris, ils sont le témoignage idéal de nos pathétiques et étincelantes destinées sociales. | |
| | | Azbinebrozer personne âgée
Nombre de messages : 2751 Date d'inscription : 12/03/2013 Age : 63 Localisation : Teuteuil Humeur : mondaine
| | | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Lun 6 Oct 2014 - 19:46 | |
| L'un de mes plus beaux souvenirs de ciné-club en copie restaurée il y a quelques années. Parce que le film, déjà, est aussi formellement splendide. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Mar 7 Oct 2014 - 6:43 | |
| - RabbitIYH a écrit:
- L'un de mes plus beaux souvenirs de ciné-club en copie restaurée il y a quelques années. Parce que le film, déjà, est aussi formellement splendide.
Ah, t'as bien de la chance, je l'ai vu dans une version assez dégueu pour ma part. | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Mar 7 Oct 2014 - 6:44 | |
| Règlements de compte à Beaver Canal Traiter de manière aussi frontale du racisme en 1950 a évidemment un mérite tout particulier. Sydney Poitier est un double débutant : en tant que médecin, et en tant que noir dans une telle fonction. Soignant dans une prison deux malfrats liés par le sang, l’un d’eux meurt lors de l’examen médical, ce qui galvanise la fureur raciste de son frère. Entre ces deux extrêmes, la figure de l’ex-femme est celle de la tentative d’une échappée : de son mariage, de son milieu et de son idéologie primitive pour gagner en humanité. Si le début patine un peu et a tendance à grossir le trait (notamment dans le racisme bas du front du frère), le film prend une nouvelle tournure assez intéressante lorsque le drame individu prend la proportion d’émeutes raciales. Déplaçant le propos vers une analyse assez novatrice, Mankiewicz articule avec l’intelligence qui le caractérise rancœurs individuelles et problématiques sociétales. La rumeur, l’incapacité au dialogue sont le cœur même du sujet : belle idée que d’avoir fait du troisième frère un sourd-muet à qui l’on s’adresse par des signes, métaphore explicite d’un langage qui ne fonctionne pas, et des coups comme palliatifs aux dialogues de sourds. Lorsqu’on connait la virtuosité de la conduite des échanges et la finesse du propos de la filmographie de Mankiewicz, on est cependant en droit de regretter un peu les développements de l’intrigue, proches du thriller (évasion, kidnapping, traquenard…) et presque grossiers au regard de l’importance du propos. On voit arriver assez vite le dénouement, et la tendance au manichéisme du médecin sauveur face au malade physique et moral n’est pas toujours de la plus grande finesse ; mais reconnaissons à ce film le courage de son propos et l’habileté de sa structure. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Mar 7 Oct 2014 - 18:57 | |
| Rholala à chaque fois qu'on "tombe" dans le film de genre Nulladies perd tous ses moyens. Grand film sociétal sans raccourcis ni concessions, grand film sur la ville d'après guerre et la façon dont le genre urbain conditionne le genre humain, grand film sur la complexité et les mystères de la personnalité comme souvent avec Mankiewicz dont la filmographie ne parle jamais d'autre chose au fond, grand film noir plutôt que thriller, pas le moins du monde manichéen et encore moins grossier, d'ailleurs si tu vois Luther comme le "médecin sauveur" et rien de plus tu es passé à côté de toute l’ambiguïté symbolique du film, concentrée sur son personnage qui s'accroche tant qu'il peut à sa droiture et à sa dignité sans parvenir à changer quoi que ce soit, qui ne comprend pas les raisons de la haine au point d'en arriver à douter de lui-même, qui se retrouve face au choix de se laisser changer, emporter par cette haine ou d'accepter son impossibilité à la comprendre et demeurer lui-même. A ce titre, le final où l'arme sert à faire un garrot est fabuleux. Comprends pas qu'on puisse adorer On murmure dans la ville, pas à moitié aussi subtil qu'on le prétend, mineur et plein de facilités, et trouver ce CO passable. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Mar 7 Oct 2014 - 19:34 | |
| Meuh non enfin, je suis pas prévisible à ce point. Ta phrase a beau être trèèèèèèèèèèèès longue, je maintiens ce que je dis. Evidemment que c'est au dessus du lot, évidemment que c'est du Mank. Mais c'est tout de même assez grossier, et ce que tu dis du personnage du médecin ne révèle pas grand chose de plus que ce j'en ai vu. Et pour People will talk; l'immense avantage de cet opus, c'est son registre comique : tout le pétillant et la fantaisie vient de là, et fait passer le message avec bien plus de légèreté sans nuire à sa pertinence, comme pour Mariage à Boston, d'ailleurs. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Mar 7 Oct 2014 - 19:58 | |
| - Nulladies a écrit:
- Mais c'est tout de même assez grossier, et ce que tu dis du personnage du médecin ne révèle pas grand chose de plus que ce j'en ai vu.
C'est parce qu'à l'image du film mon commentaire fait dans le non-dit. Pour moi le personnage est infiniment plus ambivalent que tu le prétends, pour être plus clair toute la violence et la haine des deux blancs renvoie à ses propres tentations et à son propre refoulement face à la violence de la société, c'est symboliquement très clair dans de nombreuses scènes que je ne pourrais pas décrire par le menu faute de l'avoir vu hier mais ça m'avait marqué cette lutte intérieure extériorisée par les situations du film (comme cette opération qui provoque la mort - d'ailleurs le personnage s'accuse lui-même de meurtre il me semble, encore un très beau double sens freudien - ou la scène du garrot et le choix de la façon d'utiliser cette arme - le dénouement passe clairement par une hésitation). Par ailleurs le médecin sauveur se sauve avant tout lui-même en sauvant son agresseur, et ne provoque de toute évidence aucune empathie chez ce dernier (qui lui non plus ne comprend pas), donc la fin n'a rien de manichéen. Et puis c'est un film dont le décor suggère et dit tout autant que les personnages qui l'habitent, ce qui suffirait à en faire un CO. On murmure dans la vile malheureusement n'a pas le brillant d'un Capra, et sans être mauvais Mankiewicz pour moi n'est pas vraiment à l'aise dans ce registre. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Jeu 9 Oct 2014 - 9:13 | |
| Sur le fou de la langue Une décennie sépare Jules César de Cléopâtre, mais c’est un véritable continent qui semble les distancier si l’on mesure à quel point un sujet similaire peut subir des traitements aussi divergents. Lorsqu’on connait la passion de Mankiewicz pour le dialogue, ses lentes montées en puissance vers la révélation des êtres en conflit, le voir s’atteler à la langue de Shakespeare a tout du plat de résistance. Jules César est donc le pendant ascétique du péplum Cléopâtre, entièrement rivé sur le langage et dévoué à ses comédiens, british jusqu’aux extrémités de leur toge. Ponctué de rares séquences en extérieur, le film s’attache aux échanges verbaux, aux débats politiques et moraux qui légitimeront ou non l’assassinat, la trahison et la vindicte. Tout, dans cette intrigue, concourt à la définition du grand homme : sa charge, ses choix, la maturation de ses décisions sont l’objet d’une réflexion qui se déploie au fil de tirades fascinantes et vertigineuses. Face à elle, l’esthétique du cinéaste sera celle de l’écrin : modeste, mesurée, la caméra danse avec lenteur autour des personnages, la lumière accompagne leur ballet verbal pour en révéler les zones d’ombre et les coups d’éclat dans un noir et blanc somptueux. Le plus littéraire des cinéastes était bien désigné pour réussir cette alliance entre théâtre et cinéma ; il est ici soutenu dans sa démarche par des comédiens d’exception, James Mason qui excelle décidemment dans tous les registres, et Brando, absolument gigantesque dans son interprétation de Marc-Antoine. La célèbre séquence qui le voit s’adresser au peuple et le retourner contre les conspirateurs au fil d’une tirade admirable d’éloquence et de souffle est véritablement l’apogée du film. Dédiée à un seul homme, mais face à la foule, insistant sur un visage habité, mais construite en contrepoint d’un plan d’ensemble au bas de marches et convergeant vers le bucher vengeur, c’est un modèle de construction narrative. La réussite hypnotique de cette scène clé est à l’image du film : une alchimie presque inexplicable, proprement vibratoire, entre la richesse d’une langue atemporelle, l’incarnation de celui qui la profère et le tact de celui qui la restitue à l’image. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Jeu 9 Oct 2014 - 18:56 | |
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| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Jeu 9 Oct 2014 - 19:04 | |
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| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Ven 10 Oct 2014 - 6:42 | |
| Cléo de Sphinx à diète Pour entreprendre l’ascension du monument Cléopâtre, tous les sens doivent être en éveil. Bien sûr, on contemplera avec une attention particulière la grandiloquence d’un film qui fut un gouffre financier, le prestige de ses stars et l’opulence du péplum. Mais en amateur de Mankiewicz, il faudra veiller à ne pas émousser son écoute au prestige du technicolor, et rester vigilant sur les enjeux fondamentaux qui ont toujours obsédé ce grand européen : ceux de l’échange entre les individus, leur lutte entre le paraitre et les compromis nécessaires à l’avènement d’une passion. D’une grande intelligence, Cléopâtre est avant tout, et surtout dans sa première partie un film sur la mise en scène et le work in progress du mythe d’une superstar. Avec les moyens dont il dispose, le cinéaste déploie tout l’éventail de l’ostentatoire que Cléopâtre exploite à sa propre gloire : soit dans l’intimité, où ses décolletés, scènes de massages ou bains organisés à propos attisent le brasier de rencontres diplomatiques ; soit dans la dimension collective, de conseils en banquets, jusqu’à cette fameuse entrée dans Rome, incursion somptueuse de la comédie musicale au sein du peplum. (A ce titre, le travail fait pour la réédition en blu-ray est superbe). “Make me a queen” : le programme est élémentaire, et la manipulatrice, peste, ivre de pouvoir et d’attention obtiendra satisfaction, le tout dans une atmosphère proche du screwball, (« you talk too much ! ») où l’on ironise sur les rites, on scande la grandiloquence par un clin d’œil et l’on assiste avec malice à la génuflexion d’un dieu vivant. “I do not understand why the eyes of a statue should always lack light.” Alors que se répandent à l’échelle de la planète civilisée les répercussions d’une passion amoureuse improbable, le deuxième versant du film sera celui de la tragédie. La reine drape son corps qui se dévoilait jadis avec tant d’éclat, tant dans les étoffes que les tourments. Marc-Antoine, enhardi par l’œil fou de Richard Burton, rejoue la partition de César, l’ironie en moins. La prosternation est désormais une humiliation, la nonchalance amoureuse l’abandon d’un empire tout entier. Si Cléopâtre parvient à dépasser le plaisir facile de l’épopée, c’est par cette capacité à conjuguer la prestance de figures historique à la complexité humaine face à la passion : le long déchirement des amants maudits, leurs silhouettes de plus en plus frêles et chétives dans des décors trop grands pour eux, 4h15 d’une ascension progressive vers une acmé qui sera celle du néant. Qu’on considère la bataille navale, par exemple : son sommet narratif n’est que l’histoire d’une double fuite, d’un malentendu et d’un abandon face à la cinématographie épique. C’est donc avec une logique imparable que le prestige du péplum enferme ses protagonistes : le palais d’or devient un tombeau, les costumes d’apparat des robes mortuaires, et le duo amoureux un chant funèbre. Il fallait bien un auteur de la tempe de Mankiewicz pour mener à bien pareille entreprise, et concilier avec un tel tact la grandiloquence hollywoodienne et la radiographie des cœurs humains. | |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Ven 10 Oct 2014 - 6:43 | |
| Documentaire "Cléopâtre, le film qui changea Hollywood" Après 4h15 de film, vous reprendrez bien un petit bonus de deux heures ? Documentaire très complet sur le tournage du film aux multiples superlatifs, permettant une bonne compréhension de la logique des studios et la façon dont ils géraient les grands budgets. Cléopâtre est avant tout le récit d’erreurs en pagaille : de casting, de décors (construits d’abord à Pinewood, et pourris par la pluie, qui eut aussi un effet dévastateur sur la santé de Liz Taylor), d’écriture, d’estimation. Gouffre financier, en proie à la corruption, totalement désorganisé, des centaines de figurants attendant des semaines entières avant de jouer, Mankiewicz tournant dans l’ordre chronologique pour pouvoir avancer dans l’écriture du film, la nuit, c’est le récit d’un désastre qui enchaine les déconvenues. C’est aussi la réhabilitation d’un film que nous ne verrons probablement jamais, et un éclairage sur le travail titanesque de Mankiewicz, réalisateur, puis scénariste, voire producteur. On apprend ainsi qu’il projetait un diptyque de 6 heures, l’un sur Cléopâtre et César, le deuxième sur Cléopâtre et Marc-Antoine, qu’on lui refusa de peur que lors de la sortie du deuxième volet, la liaison ultra médiatique entre Burton et Taylor ne soit plus d’actualité. Contraint à réduire à plusieurs reprises son film, à retourner des scènes de bataille fauchées, y laissant sa santé, Mankiewicz considéra avec beaucoup d’amertume le résultat final qui faisait environ 3 heures. Alors qu’on a pu reconstituer la version de 4h15 qu’on voit aujourd’hui, on recherche encore les rushes pour tenter d’assembler le grand œuvre voulu par le maitre. Récit d’un grand gâchis, et de la victoire des stars, Taylor en tête qui signa le premier contrat à un million de dollars et repartit avec un cachet de sept du fait des prolongations, ce documentaire est éclairant sur la dimension collective d’un film et les risques inconsidérés pris par les studios lors de chaotique âge d’or. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Ven 10 Oct 2014 - 20:11 | |
| Qui sait, on y a peut-être gagné au change, parfois - rarement certes mais parfois - l'alchimie naît des conflits artistiques, des désastres et des concessions. Je me demande souvent ce qu'aurait donné la fameuse version director's cut perdue de La poursuite impitoyable de Penn par exemple, désavoué par le cinéaste car soi-disant "massacré" au montage par son producteur, c'est pourtant un CO que j'ai du mal à imaginer autre. |
| | | Nulladies Cinéman
Nombre de messages : 2734 Date d'inscription : 28/12/2013 Age : 47
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Lun 13 Oct 2014 - 7:16 | |
| Le fiel pour seule limite. Sur la trame classique d’une tentative d’évasion dans un pénitencier, avec constitution d’une équipe, magot planqué et rivalité avec l’institution, Le Reptile commence à se distinguer par son appartenance à une nouvelle ère, celle des 70’s. Plus explicite, plus sordide, le film ne s’embarrasse plus d’un langage polissé ; les hommes rustres, les femmes chaudes et armées et même un couple gay dressent le portait satirique d’une société sans fard. L’atmosphère assez proche d’un Peckinpah pour son cynisme ou d’un Leone pour son humour étonne vraiment pour un film de Mankiewicz, surtout lorsqu’on considère certaines scènes de comédie un peu bouffonne, de baston générale à coup de poulet ou de bains forcés plus proches de Bud Spencer que d’Ava Gardner. Le film est l’occasion d’un beau duel au sommet entre Fonda et Douglas, le patriarche héritier potentiel du western classique face au héros non moins conventionnel du grand film hollywoodien, ici retournés comme des gants. Si Fonda reste longtemps fidèle au modèle, la raclure que compose son comparse est proprement jubilatoire, dénuée de toute morale et obnubilé par son propre intérêt. Car le véritable intérêt du film est bien là : tisser des fils narratifs grossiers pour mieux les déchiqueter. D’un côté, l’ambition humaniste de Fonda, directeur de prison soucieux de réinsérer ses détenus en humanisant leur structure. De l’autre, la solidarité du groupe des candidats à l’évasion, chacun ayant sa spécialité et l’union faisant la force. Le dilemme de Douglas, à leur tête, est qu’il devient simultanément le leader du projet du directeur, qui voit s’épanouir sa petite communauté utopique. [Spoils] La malice acerbe du récit consiste à laisser germer ces ressorts et conduire le spectateur vers une convenance morale que le dernier tiers du film (un brin long et mou dans sa première partie) va totalement dévaster. Envolées, les bonnes résolutions, l’amitié et les ébauches d’une civilité nouvelle : on flingue, on trahit, on renie des principes qui semblaient solides comme le roc, et l’on s’enfonce avec jubilation dans la fosse aux serpents. C’est donc sur le modèle d’un film d’action plutôt décomplexé que Mankiewicz choisit, pour son avant dernier film, de distiller un fiel qui n’a jamais quitté sa filmographie : avant le duel étouffant du Limier, c’est assez déconcertant pour séduire, même si l’on est assez loin du panache de son œuvre passée. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: [Cycle] Mankiewicz Lun 13 Oct 2014 - 16:20 | |
| - Nulladies a écrit:
La malice acerbe du récit consiste à laisser germer ces ressorts et conduire le spectateur vers une convenance morale que le dernier tiers du film (un brin long et mou dans sa première partie) va totalement dévaster. Envolées, les bonnes résolutions, l’amitié et les ébauches d’une civilité nouvelle : on flingue, on trahit, on renie des principes qui semblaient solides comme le roc, et l’on s’enfonce avec jubilation dans la fosse aux serpents.
Ben oui, somme toute assez classique dans ce genre de western. Je crois que j'ai oublié ce film foireux aussitôt vu, totalement indigne de son auteur et des grands westerns ironiques de l'époque, aussi bien formellement qu'en terme d'écriture d'ailleurs. |
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