« Carrie & Lowell », après un album primitif tabou, est-il un retour au premier Sufjan ? En moins convaincant ?
En trois parties, Sufjan, toi qui n'a probablement jamais connu la mauvaise foi, sauf malgré toi, je t'
!
* * * * *
*
Le premier Sufjan, pop/folk, au ton très naïf s'autorise une orchestration généreuse, peu électrique, quasi pastorale. L'orchestration est homogène avec le chant, sans écart de profondeur spatiale avec lui. L'ensemble forme comme une communauté généreuse, qui en recourant souvent à la répétition, a tendance à se replier, se lover sur ses émotions, heureuses ou moins. Oui dans ce monde doux, naïf, un peu clos, on se sent bien.
J'ai aimé cette sincérité, le talent, sans être complètement touché. Il y avait quelque chose de trop gentil, qui me retenait. BQE, projet orchestral de 2009 plus brillant, rétro, exaltait lui une Amérique des années 50, idéalisée, idéalisante. Naïf encore.
Une impasse pop/folk, peu à peu ? La production de Sufjan à la fin de cette époque maintient-elle alors vraiment le niveau ?
Sufjan artiste doux, naïf. Encore timide ? Ce garçon semble condamné à aimer pour être aimé. Peu à peu trop gentil, pour lui comme pour tous quoi ?*
« The age of Adz » et le naïf se vit primitif.
Quand les naïfs osent sortir de leur timidité, ce sont souvent de grands dingues non ? Aimez-vous vraiment les primitifs et leurs arts ? Ces dingues qui tirent un trait, un motif et le répètent à l'infini fébrilement sur toute la toile jusqu'à l'étouffer ? Allez visiter le « LaM », musée à Villeneuve d’Ascq, où l’obsession des naïfs les poussent à l’excès de tout, du trait, du motif qui vibrant à l’infini, se prolonge totalisant, étouffant, dévorant tout. C’est le thème de « The Age of Adz ». L’art naïf est souvent étouffant !
Plus sobre, mais pas si loin, regardez les statues du Bernin et l’art baroque, quand l’émotion se poursuit en plis et replis infinis qui irriguent le monde.
La crise, la maladie, Sufjan sort un EP tonitruant « All Delighted People », puis très rapidement derrière le surprenant « The age of Adz ».
« Je portais le fardeau du poids conceptuel de mes albums précédents. Je voulais être direct, et c'était donc nécessaire de faire les choses différemment. Age of Adz est bien plus personnel, parce que je n'avais pas de direction précise, je m'en remettais à mes propres instincts, mes propres impulsions émotionnelles. » Le naïf y devient primitif, grossier, intégrant du gros traits épais d'un goût qui écœure son indé !
« Pouah ! Pop'ulaire à ce point ?!!... » Comme souvent avec les naïfs primitifs, le trait musical est surajouté, vibrant à l’infini, se prolonge totalisant, étouffant, dévorant tout. Sufjan met en musique l'artiste primitif Royal Robertson. Ses toiles défilent sur scène, au milieu de danseuses à plumes, de musiciens en costumes fluo, de jets de confettis...! L'hystérie, le spectacle sont total ! Chaque idée surlignée innerve le corps jusqu’au rejet absolu ou... la dépendance totale !...
En 2010, Sufjan rend donc cet hommage violent, poignant à Royal Robertson, artiste, schizophène comme la mère de Sufjan. Celle-ci meurt en 2012. Question : le « Carrie & Lowell » qui va suivre est-il véritablement LE premier hommage musical de Sufjan à sa mère ?
Sufjan "The Age", ce garçon condamné à aimer, se met à aimer comme un dingue, un fou, quitte à être un peu moins aimé. Peut-être abandonne-t-il ici une certaine naïveté, celle « qui trop embrasse mal étreint » ?* Et puis
« Carrie & Lowell ».
La disparition, la distance, la retenue, s'inscrivent en creux. Est-il raisonnable de reprocher à cette musique ce qui lui manque ?... Sufjan chante-t-il ou parle-t-il ? Bien souvent il raconte, et peu à peu, l'émotion le gagne, malgré lui :
« Somewhere in the desert there’s a forest
And an acre before us
But I don’t know where to begin
But I don’t know where to begin
Again I’ve lost my strength completely, oh be near me,
Tired old mare with the wind in your hair »
L'orchestration toujours débordante chez Sufjan, de bon goût ou non, est ici considérablement réduite. Les chœurs des premiers Sufjan pop/folk, faisaient corps avec une orchestration homogène. Il n'y avait pas d'écart spatial entre la voix et l'instrumentation, les chœurs. « Carrie & Lowell » use sur quasiment tous les morceaux, d'une dramatisation entre un avant-plan avec Sufjan, sa voix, quelques instruments, et un arrière plan très lointain, aux sons sans attaque, aux chœurs si ténus. L'arrière plan fait remonter des textures sans aspérité, aériennes. Souvent l'écart, la distance entre ces plans se marque par une alternance au cours du morceau. Cet arrière monde survient comme une inexorable montée, forte, enfouie, ou bien apparait en fin de morceau sans le résoudre, inquiétant.
Comment cet album, écouté les deux premières fois discrètement en bossant, m'a-t-il littéralement pété à la gueule m'obligeant à m'arrêter plusieurs fois pour faire face à des débuts de spasmes, de tremblements... Avant d'avoir lu quoi que ce soit sur les textes, le propos de l'album...
Bien sûr les traces de l'hystérie ressentie avec « The age of Adz », enfouie en soi, explique cet hyper sensibilité presque immédiate. Mais aussi la dramatisation simple et répétée de Sufjan qui creuse cette distance tout au long de l'album avec une obstination qui n'est plus seulement douce et gentille.
Lisons les textes :
http://www.lesinrocks.com/2015/03/23/musique/sufjan-stevens-album-en-ecoute-en-avant-premiere-11616838/Faut-il imposer une distance à sa douleur ? Fallait-il aussi pour Sufjan poser une autre distance, répondant à celle qui lui fut imposée enfant ? Lorsque aimer est rendu si complexe, Sufjan pouvait-il se laissait emporter par la passion ?
Ayant brisé la forme douce, aimable en 2010, Sufjan "Carrie" ne questionne-t-il pas cette fois avec une infinie douceur, son devoir même d'aimer ?Est-ce bien le même bonhomme qui a grandi ici, naïf, primitif, toujours en devoir d'amour, artiste en partage ?
Sufjan je t'aime.
Vous aussi ! Vous êtes tous mimis !
* * * * *
NB : Quelques extraits de ce texte ont été publiés en commentaire, puis repris par le rédacteur de ce blog en article :
http://next.musicblog.fr/3500399/Sufjan-Stevens-par-Azbinebrozer/ Article qui n'est hélas plus accessible depuis quelques jours. En espérant qu'il retrouve un hébergement. Avec mes remerciements à Next !
(mais noooon c'est pô mon blog ici ! Ici plus bas on échange hein ?!! )