Je viens de réécouter pour la première fois depuis longtemps cet album et il me fait toujours le même effet… Je ne sais plus trop si j’ai vraiment un album préféré des Smiths... Ce que je sais c’est combien ils ont compté. Et que la compil’ Hatful of Hollow a aussi beaucoup tourné.
Je crois bien avoir assisté au premier, et rare concert des Smiths en France, à Paris le 9 mai 1984, à l’Eldorado. Je cite
ce blog : «
Depuis quelques mois, la rumeur est venue d’Angleterre : il y a un nouveau “Joy Division”! Enfin, pas pour la musique, mais pour l’Esprit.»
C’est sur la foi d’une presse dithyrambique, sans n’avoir jamais rien écouté des Smiths, embarqué par le rêve suscité par une telle référence, que j’ai pris des places.
En première partie, il me semble qu’il y avait Les avions, groupe français pop new-wawe, ligne claire, parodie proprette et suffisamment superficielle des années 80, au tube résolument prémonitoire :
"La nuit est belle" !
Un slogan était inscrit sur les billets
« Apportez vos fleurs »… Morrissey est arrivé avec des glaïeuls accrochés au cul du jean. Il a joué avec, une bonne partie de la soirée, de façon plus ou moins suggestive. Son jeu de scène était incroyable, très physique, un peu sexuel mais complètement dégingandé, ayant si peu à voir avec celui d’une bonne partie des héros libérés des 60ties, 70ties…
Je ne connaissais aucun titre joué, c’était déconcertant. Quand je relis la setlist, j’en ai des frissons… Le chant était à l’identique, comme je l’ai déjà évoqué ici, les lignes mélodiques étaient vertigineuses, chaotiques. Elles portaient celles du post rock froid, désarticulé, à un haut point d’incandescence. Dans ce contexte Morrissey chantait faux, vraiment, plus encore que ses lignes mélodiques improbables ne l’imposaient, mais dans l’esprit qui leur avait donné jour ! Ce chant respirait la fragilité, mais aussi les hauts le cœur, les dérapages, le provoquant, la pose nauséeuse, de dégout et de révolte…
La soirée ne fut donc pas confortable, sans qu’on puisse dire que la presse s’était bourré le mou. Quelque chose de fort s’était déroulé devant nous, dont nous n’avons véritablement pris la mesure que plus tard, devant nos platines, textes en mains…
The Smiths a pu incarner, il me semble, l’âme des années 80. La référence aux petites gens, à une petite vie un peu misérable, à ses failles. Oui, ses textes ont donné échos à certaines petitesses en nous, la honte, le ressentiment… et aux drames qu’ils nous imposent. Tous ces sentiments qu’une pensée libératrice hippie avait un peu niés, croyant dans son élan positif les balayer définitivement.
Chaque période révèle-t-elle les mêmes types de personnes ? Quel personnage aurait joué Morrissey dans les années 60, 70 ? Les Smiths des 80 ont prolongé un post-punk désarticulant l’humain bien trop beau des 60ties libertaires, tout en jouant de la théâtralité glam des 70ties. Ian Curtis et Bowie !
Aux 60ties hippies nous imposant d’être nous-même, épanouis, aux 70ties glam nous sonnant de nous créer notre propre personnage, Morrissey a chanter l’idée d’une authenticité réelle, fragile, cette fois peu glorieuse, pas plus épanouie que ça. Comme s’il avait décomplexé le devoir de l’être !
Une mythologie de l’authentique qui irrigue il me semble encore largement notre rock indé, jusqu’à parfois un peu l’ennui ?! Mais aussi notre vénération et amour.