C'est avec une certaine curiosité que j'ai découvert ce livre au détour d'une allée de la librairie des Danaïdes. J'ai trouvé la pochette énigmatique. Le livre n'étant pas épais et comme mon voyage SNCF n'est pas long non plus, je décidai de l'acheter. Arrivé sur le quai de la gare, je sors le livre de ma poche et je rentre dans l'histoire...
Le livre nous raconte la fuite en avant d'un ancien criminel de guerre de la seconde guerre mondiale passionné de kabbale. Il a changé d'identité après la la 2eme guerre mondiale pour échapper aux autorités. La scène se présente dans un restaurant où il déjeune avec sa fille qui ne supporte pas son père et ne le comprend plus. Elle est la captive passive des erreurs de son père.
A coté de sa table, il y a celle du narrateur qui travaille sur une composition en yiddish. Les destins vont se croiser.
Ce livre sert à l'auteur à montrer toute son admiration pour la culture yiddish. Sa fille vient dans le récit nous décrire un homme froid qui n'a aucun remords. Son seul tort étant d'avoir perdu la guerre pour lui, l'histoire a été écrite finalement par ceux qui ont gagné la guerre :
"Je ne cherche pas à me justifier en disant que j'ai été contraint d'exécuter des ordres. Au tribunal, j'ai entendu mes supérieurs se déclarer sous Befehlnotstand, en état de contrainte, à la suite d'un ordre. Ces ordres, nous les avons démontés et remontés, comme on le fait avec les armes. Nous les avons huilés et lubrifiés pour qu'ils ne s'enrayent pas. Nous les avons exécutés avec l'efficacité de l'enthousiasme. Notre faute est plus impardonnable : c'est la défaite."
La fille joue le rôle de témoin de sa vie comme fil rouge de son passé et de son présent. Elle souhaite se détacher de lui mais n'y arrive pas. Dans la fuite infinie, la délivrance finira par arriver. Erri de Luca nous narre cette libération avec une finesse d'écriture que j'ai rarement lu. La fin du livre est d'une très forte intensité, on ne reste pas neutre face à cette histoire :
"Au premier choc, je fus éjecté dans l'herbe, avant que l'auto et mon père ne finissent contre les rochers.
Mon long séjour à l'hôpital m'a donné le temps de me remettre d'aplomb. Le vol dans le vide m'a libérée de mon contrat de fille de mon père. Quand on décousit mes derniers points de suture, je fus détachée de lui"
Au niveau de la structure du livre, malgré le fait que le livre est court, j'ai trouvé que l'intrigue avait du mal à s'installer, on comprend mal les allusions à la kabbale. Cependant, dès que le mystère autour du père est révélé, le récit prend une nouvelle tournure où le génie de l'auteur se révèle avec une magie des mots qui impressionne. On a du mal à décrocher tellement le style sert l'histoire.
L'écriture est d'une telle finesse que j'ai du mal à trouver des superlatifs pour en parler. Le dénouement final est sublime. C'est probablement le livre de 2014 qui m'a le plus marqué. De surcroît, Erri de Luca a remporté le prix J. Monnet de Littérature européenne. De la grande littérature à ne pas rater !
Maison d'édition : Gallimard
Série : "du monde entier"
Auteur : Erri de Luca
Titre : Le tort du soldat